Jean-François Bollon et sa "fabrique à mots"

Ecrire, c’est une façon d’aller au fond de soi, de trouver sa respiration et puis d’aller vers les autres, respirer l’air du monde...
J-F B.

fin avril 2002 va paraître "rayon haute-fidélité", résultat d'un atelier d'écriture mené dans l'Ain par Jean-François Bollon, qui est aussi chanteur
il présente ici la démarche de l'atelier, avec quelques brefs extraits des textes produits
on peut bien sûr les contacter pour plus, ou pour se procurer le livre à paraître...

contact : Atelier d’écriture/Jean-François Bollon - Roche Fleurie - 01 300 Premeyzel / tel 0479816700 poste 340

e-mail / courrier pour La Fabrique à mots

ON RESPIRE COMME ON PEUT...
présentation de l'atelier, par Jean-François Bollon

." Le ciel est bleu, noir, gris, jaune. Le ciel n’est pas là, et il est rouge. Tout ceci s’est passé hier. Tout ceci s’est passé voici cent ans. Le ciel est blanc. Il a un parfum de terre, et il a l’odeur d’hier..." Paul Auster

 

L’atelier d’écriture du foyer Roche Fleurie, je l’ai créé en 1994 pour les résidants qui souhaitaient un soutien pour correspondre avec leurs familles. Au départ, seules trois ou quatre personnes venaient de façon irrégulière. Après quelques années de renforcement des acquis (certains n’écrivaient plus depuis des années), l’atelier a évolué vers plus de créativité et le besoin d’une ouverture sur l’extérieur paraissait incontournable, question de respiration...

Actuellement, il y a plus de vingt résidants inscrits à l’atelier, qui viennent chaque semaine. Lors des séances, le plus difficile ce sont les angoisses du commencement ; " je n’ai pas d’idées ", " je n’y arriverai pas ", " c’est dur ", c’est un moment délicat à négocier pour certains, qui va déterminer toute la séance. Puis chacun écrit à son rythme, avec sa méthode… Il y en a qui écrivent beaucoup, de façon désordonnée, comme ça vient, d’autres qui ne structurent que quelques idées qu’ils développeront la fois d’après. Ceux qui ont vraiment trop de difficultés, je leur demande de raconter leurs idées et j’écris, moi. L’atelier n’est pas obligatoire, il s’adresse à des personnes adultes atteintes de troubles mentaux stabilisés. A la fin des séances, je ressens souvent qu’ils sont fiers d’avoir dépassé leurs appréhensions même s’ils ne sont pas guéris pour autant. Leur capital confiance se remplume et ça c’est très important. Quand je donne mon avis sur leur travail, je leur dis ce que je pense, je les guide aussi, je leur donne quelques " tuyaux ", ils sont très curieux des " ficelles artistiques "…

Une chose qui m’a toujours étonné, c’est que généralement, ils parlent peu de leur passé spontanément et que par contre ils écrivent beaucoup à ce sujet. Puis après, on en parle plus librement. Parce que les gens, la plupart ont eu une vie familiale, sentimentale, professionnelle avant. Leur vie, elle n’a pas commencé au foyer... Et même s’ ils sont en difficulté depuis longtemps, ils ont vécu, ils ont aimé, ressenti des déceptions, de l’espoir... Donc il faut les laisser dire, écrire, se souvenir, les blancs aussi il faut leur laisser, ce qu’ils n’ écriront jamais. Ca leur appartient. Je fais très attention à ce qu’ils ne livrent pas de détails de leur vie privée, des choses trop intimes...

Ce qui est aussi important, c’est que le fait d’écrire pendant l’atelier facilite la correspondance avec la famille. Ecrire, ça laisse une distance, je crois qu’ils se sentent moins en danger avec leurs émotions. Souvent, il y a des pépites d’authenticité, de la beauté naturelle dans leurs mots. Leur façon d’écrire est très pure, très poétique. C’est émouvant, j’ai partagé des moments inoubliables pendant l’atelier, des phrases qui éclataient au grand jour…

Le projet " Rayon haute-fidélité ", il est parti du livre de François Bon Tous les mots sont adultes (Fayard, 2000). J’avais lu un article sur lui dans Libération, j’aimais bien le personnage, ce qu’il disait. Je cherchais de la documentation sur les ateliers d’écriture et en novembre 2000, dans une librairie de Romans, je tombe sur ce livre. Pour moi, il y a eu un déclic, ça m’a donné l’envie, le courage... On a commencé le recueil en mars 2001, ça a duré six mois... Du jamais vu à Roche Fleurie, ma fierté c’est d’être arrivé au bout et d’avoir permis à chacun d’exister par lui-même et dans le collectif d’écriture, les participants se sont rencontrés, ils lisaient les derniers textes écrits qui sortaient sur l’imprimante, donnaient leur avis, il y avait du respect, des sourires, de l’attention pour l’autre, c’était vraiment une aventure humaine... Car il y a une profonde humanité dans ces écrits, c’est une sacrée leçon, une leçon sacrée et ça réchauffe.

Maintenant, j’essaye d’organiser des contacts, ces textes ce ne sont que des prétextes pour rencontrer des gens avec tous les participants à l’atelier. Ecrire, c’est une façon d’aller au fond de soi, de trouver sa respiration et puis d’aller vers les autres, respirer l’air du monde...

EXTRAITS DU RECUEIL " RAYON HAUTE-FIDELITE "

Sous les toits
J’ai travaillé chez un pâtissier, comme ouvrier, à Villeurbanne, cours Magenta en 1979. Je travaillais quinze heures, de deux heures du matin à seize heures. Je logeais à cent mètres du magasin. C’était une petite chambre, je la louais à mon patron. Les murs étaient gris, il y avait un radiateur électrique. Je préparais mon repas tous les soirs. J’étais au deuxième étage, je montais des escaliers poussiéreux, c’était sous les toits. Yves, le 2 mai 2001

Elle revient toujours
Christiane a déjà son billet, elle a aussi le retour. On attend le train, on reste dehors, on fume une cigarette. Le train arrive, je lui fais une bise, elle monte les marches… Signes d’au revoir. Eric, le 17 mai 2001
PS : Elle revient toujours le lundi, le week-end est long sans elle.


Fleur d’accordéon
J’allais au jardin arracher de l’herbe, j’étais gamin, j’ habitais Yzieu. C’était l’été. Je l’ai ramassé et je me suis mis à en jouer. Il était petit et rouge, en bois, en fer et en carton. Je l’ai montré à ma mère. Je trouvais que c’était magique, il y avait des notes qui sortaient, ça m’amusait d’en jouer. Je ne sais plus ce qu’il est devenu, j’ai oublié. Je n’avais pas trop soin de mes jouets, un vrai brise-fer. Patrick, le 3 mai 2001


On respire comme on peut
Je marche un peu à la sortie du bungalow, il fait bon, un monsieur tond l’herbe. Les arbres respirent, la Chine n’est pas loin des bureaux. Les voitures nus foutent la paix, les lézards sont en trouille. Les clochettes veillent des fleurs rouges, les haies protègent les escaliers. Des herbes montent et rient, les plantes existeront toujours... Les musiques se baladent. Les pierres cachent de petits moineaux, les avions passent. Le ménage sera fait avec un certain respect.
Jean-Pierre, le 5 juin 2001

La montre
Je me rappelle que mon oncle m’avait acheté une montre plaquée or. Je crois que c’était la plus belle montre que j’ai eue de ma vie. Je ne l’ai pas gardée longtemps. En vacances à Saint-Tropez, je l’avais laissée sur un rocher et j’étais allé me baigner. En revenant, je ne l’ai pas retrouvée, cela m’a fait de la peine et j’ai tout de suite pensé à mon oncle. La montre, une vague a du l’emporter...
Bruno D., Le 15 mai 2001


Adolphine
C’était il y a très longtemps, j’avais 15-16 ans, j’avais pris le train Grenoble-Marseille au milieu des années 60. J’avais trouvé le voyage assez long, les sièges étaient durs. J’étais avec mon grand-père, il est décédé peu après le voyage. Nous allions voir ma grand-mère à l’hôpital. Il y avait aussi mon père et ma mère, ils parlaient de ma grand-mère, elle s’appelait Adolphine, ils se faisaient du souci. On était parti de bonne heure. Je me rappelle, j’avais mangé un sandwich et pris une boisson, un monsieur avec un chariot passait dans les wagons, c’était pas donné. Le soir on est arrivé à la gare Saint-Charles, pas loin de la Cannebière, l’air m’a paru doux, c’était l’été.

Jean-Claude, le 5 juin 2001