Michèle Sales / Tout le monde voit ça, et voilà

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On garde un peu tous les jours des images comme celle là. Aujourd'hui au pied du pont, au feu, un homme assis sous la pluie, complètement détrempé, à côté de sacs poubelle noirs. Je l'ai repéré parce que j'étais arrêtée au feu. Il tournait le dos à la circulation, les jambes allongées sur la contre-allée au dessus du caniveau. J'ai pensé qu'il s'amusait à regarder l'eau passer sous lui. Peut-être ? Hier en sortant de Gradignan un jeune grand, maigre, des yeux bleus, des boutons plein la figure, on a attendu qu'il sorte entre les deux gardiens. Il pleurait, il s'essuyait le nez maladroitement à sa manche avec ses poignets menottés. Ce geste forcé des deux bras ensemble. Dans le métro jeudi en revenant de Beaubourg, un homme vieux, sale, assis sur une banquette, qui saigne violemment du nez. Il s'essuie avec du papier journal. Tout le monde regarde; on lui donne un paquet de mouchoirs en papiers, et puis c'est tout. Il saigne, on ne sait pas quoi faire. Me suis dit ce soir en sortant du boulot que les gens dans la rue avaient des regards de bêtes traquées, anxieuses, prêtes à mordre. Je ne sais pas comment moi je les regarde. Et puis quoi ? Tout le monde voit ça, et voilà. Pas de quoi en faire une histoire.