Hélène Virollaud / La cour de l'immeuble  
aussi par Hélène Virollaud : Expliquer le silence (novembre 2000)

La cour de l'immeuble. Profonde. Quand on lève les yeux cette impression que le ciel fait un plafond. Rapide sensation d'étouffement qui s'agrippe dans la gorge. Autour de moi des visages connus. Comme un peu trop. Taper du pied machinalement dans l'énervement. Sentir ce besoin de solitude qui monte progressivement. Ne pas l'empêcher de prendre place. Quelques minutes ou peut-être davantage à attendre que l'angoisse se tasse d'elle-même. Lui ne me voit pas, son verre à la main je n'existe plus. Observer toutes les grimaces qu'ils se font sans en faire une seule. Dès que mon visage n'attirera plus un seul regard je me défilerai, j'irai me retirer au calme dans cette chambre avec le lit propre et fait de ce matin, froid aussi. Une parole, pas de bonsoir.
Claquement d'une porte toute proche. Réveil un peu brutal, tourner les yeux vers la fenêtre, une nuit presque noire. Des bruits de pas dans la colère, pas qui s'approchent du lit, rythme reconnu. Tenter d'ouvrir précipitamment les yeux en grand juste avant que la lumière s'allume et quand elle tombe les refermer instinctivement. La volonté de fermer aussi les oreilles. Mouvement impossible. Les muscles se crispent d'eux-mêmes, savent ce qui les attend, une voix qui surgit très fort. Un seul mot répété trois fois de suite. Alors, la première comme une question sans attente de réponse, la deuxième avec le reproche et la troisième est l'occasion de cracher toute une inspiration le plus violemment possible avec odeur d'alcool qui saisit l'estomac dans l'instant. encore essayer de lever les yeux et de les ouvrir en même temps. Des mots suivent presque incompréhensibles mais le sens est connu, identique dans chaque phrase criée. L'angoisse n'a pas eu le temps d'arriver, l'accablement seulement. Courber les épaules, une main qui s'appuie sur le lit, l'autre qui oscille entre la bouche et les yeux. Pas un mot n'est encore sorti. Attendre une trêve pour essayer de dire quelque chose, donner une explication là où il n'y en a pas besoin. Regarder l'heure pour trouver la longueur de sa nuit et se demander combien de temps il va falloir rester assise dans ce lit à entretenir un débat qui n'intéresse pas ceux qui y participent. Tenter de justifier le départ par le sommeil mais rien n'y fait. Après l'alcool impossible de retenir cette envie de crier sur quelqu'un. Se demander si le chat ne suffirait pas. Attendre comme en vain que cette voix se taise. Suivent des questions incessantes, sans réponse, inutiles. Le ton qui monte à mesure que les mots se vident de sens. Regarder le jour qui se lève et la fatigue qui tente de s'abattre sur toi jusqu'à ce qu'enfin tu viennes te poser à côté dans le lit qui a eu tout le temps pour redevenir froid. Tes ronflements arrivent et avec eux le dégoût qui a enfin le droit d'être puisque je serai le seul témoin. Le soulagement de se lever après ces heures à lutter pour ne pas écouter. Enfiler les vêtements de la veille, faire du café pour un et le regarder passer lentement à travers le filtre. Un grand verre d'eau pour commencer la journée et avaler la nuit d'un trait. Boire lentement le café et fumer sans avoir l'impression qu'une nuit s'est passé depuis la dernière cigarette. Par la fenêtre comme un ciel bleu. Prendre un pull un sac et filer pour vérifier la couleur.
Matin d'été d'une nouvelle journée avec peu de choses prévues pour la remplir. Commencer par marcher sans réfléchir jusqu'à la terrasse d'un café face au marché de gros. A cette heure-ci, on n'en trouve pas d'autre ouvert. Aux tables à côté des hommes parlent fort du temps qu'il fait, du poisson que l'on trouve sur les étalages ce matin, pas d'autre femme ici. N'attirer pourtant aucun regard. Cette indifférence qui soulage. Se remplir de cette solitude un moment, en regardant l'heure s'apercevoir qu'il faut quitter précipitamment l'endroit avant que ce soit son heure à lui. Retourner dans l'appartement presque en courant. L'impression d'un supplice. Sensation agréable d'essoufflement, presque délivrance.
Faire du café pour deux. Crier depuis la cuisine ton nom sans attendre de réponse. Deux minutes et il faut aller voir si le bruit a suffi à te réveiller avec cette certitude que ma voix ne réussit plus à te sortir du sommeil. Savoir qu'il va falloir te secouer fort seulement pour sentir ton haleine qui pue l'alcool et la nuit. Devant ton café pas un mot, juste fumer ta cigarette et puis la deuxième histoire de tuer le sommeil avec la nicotine. Après, douche rapide, mettre un manteau une bise et la porte qui claque avec moi derrière qui vais passer ma journée à attendre que tu reviennes.