Przemyśl

Ce 13 mars, Lothar Quinkenstein, auteur, traducteur d’Olga Tokarczuk en allemand, écrivait à Tanja Dückers, écrivaine berlinoise.


J’habite actuellement à PrzemyÅ›l, hébergé par une connaissance, j’ai des contacts, en particulier avec la Maison de l’Ukraine qui joue un rôle important dans la logistique de la crise ici. Je suis surtout actif à la gare - ma tâche consiste à diriger les réfugiés aussi rapidement que possible vers les bons trains ou les bons bus quand ils veulent poursuivre leur voyage ; à leur dire qu’ils peuvent obtenir des cartes sim gratuites à la gare (une information essentielle !), et ceux qui n’ont plus la force de prendre le prochain train ou le prochain bus ou qui ne savent pas où aller - certains, qui viennent de Kharkhiv, d’Odessa, de Zaporija, voyagent en train depuis trois ou quatre jours et beaucoup ont passé l’essentiel du trajet debout -, nous les dirigeons vers des hébergements d’urgence. Souvent c’est déjà beaucoup les aider que de pouvoir leur dire qu’un repas chaud les attend à la gare.
Il y a presque uniquement des femmes et des enfants. Des grands-mères, des mères, avec un ou plusieurs enfants - c’est le plus fréquent. Souvent il y a même un chat ou un chien en plus, transporté dans un sac ou simplement protégé sous un manteau. Je ne suis pas encore allé au poste frontière (Medyka), il y a déjà suffisamment à faire à la gare. Medyka est à une quinzaine de kilomètres. D’autres équipes s’affairent là-bas.
Les bénévoles sont d’une disponibilité absolument remarquable !!! De minuit à quatre heures du matin, ils font l’équipe de nuit à la gare - et le matin, vont au travail ; ou de quatre heures à huit heures du matin à la gare - et après, au travail. La cellule de crise de la Maison de l’Ukraine aimerait qu’il y ait une autre équipe entre 20.00 et minuit - puisqu’on sort en général du travail à 18.00.
Que tout fonctionne, cela confine au miracle - toutes les quatre à cinq heures un train arrive de Lviv. Pour que les gens d’un train soient à peu près pris en charge et répartis sur les autres quais ou inscrits dans un hébergement d’urgence il faut compter deux à trois heures. C’est-à-dire qu’il y a en principe une heure, une heure et demie de « pause » entre deux trains.
Les dimanches de soleil à Berlin, il règne chez ceux qui attendent un peu longuement au guichet dix fois plus d’impatience qu’ici, où les gens viennent de descendre du train et sont en route depuis trois jours.
Jamais je n’oublierai ces moments - le petit garçon, quatre ans peut-être, venu avec sa mère. Ils avaient aussi peu de bagages que s’ils étaient partis pour un long week-end ; ils voulaient aller chez des parents à Amsterdam. Un pompier a donné une gaufrette au garçon et la mère a dit, « tu vois, Micha, il est gentil, le tonton, dis-lui merci… »
Dans une séquence de quelques heures, on vit des dizaines de scènes de ce genre.
Le plus difficile est d’aider ceux qui ne connaissent personne, ni en Pologne, ni en Allemagne, ni en France. Personne. Nulle part. Nous leur conseillons de gagner les grandes villes - Varsovie, Cracovie, Katowice, Wroclaw, PoznaÅ„. PrzemyÅ›l est trop petite.
Avant-hier deux sœurs, accompagnées de six enfants. Elles réfléchissaient à la meilleure solution pour elles - une ville de Pologne, Berlin ou Prague. Je les avais fait héberger à la Maison de l’Ukraine parce qu’il n’y avait plus de place dans les hébergements d’urgence. Dans la salle où se déroulent les manifestations d’ordinaire, sont installés autour de 35-40 lits de camp, on peut se préparer un repas et il y a des douches. J’ai passé deux jours à monter des étagères avec trois femmes venues de Zakopane pour aider, avant de prendre mon service à la gare - pour faire plus facilement le tri des aliments. Le lendemain, les deux sœurs avaient choisi. Elles iraient avec les enfants à PoznaÅ„. L’une d’elles a dit : « Le plus important est de s’occuper des enfants, qu’ils puissent aller à l’école, et de trouver du travail. »
Et quand on pense aux pères - c’est terrible.
Donner des affaires, ce n’est plus la peine, en tout cas du côté polonais. Les affaires, il faut les trier, il arrive une grande quantité de cartons avec un tel bric-à-brac - certes utilisable mais encore faut-il faire le tri. Ce qui prend un temps énorme. L’argent est beaucoup plus utile et efficace.
Ce matin tôt, l’attaque contre une base militaire à l’extrême ouest de l’Ukraine a touché un endroit qui se trouve à 30 kilomètres de la frontière à vol d’oiseau. Une femme de l’équipe qui habite tout près de la frontière a entendu les détonations.
Si quelqu’un était prêt à venir une semaine ou deux comme je viens de le faire (je dois rentrer dans quelques jours) ce serait formidable. Idéalement quelqu’un qui parlerait polonais et ukrainien pour faire l’interprète à la gare ; mais polonais et anglais, ce serait déjà bien. Hébergement possible (avec sac de couchage) à la Maison de l’Ukraine ; conditions sommaires. Le travail n’est pas facile, on a besoin de renfort.
Je ferai volontiers l’intermédiaire.

4 avril 2022
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