Les ateliers quelle fatigue quel élan | Albane Gellé

Ce texte a été écrit pour et lu lors de cette troisième rencontre proposée par remue.net avec la collaboration de la Scène du Balcon le vendredi 15 février à20 heures.
Il s’agissait de réagir àcette proposition :

Quelle zone d’échange l’atelier d’écriture constitue-t-il, comment se construit-elle, et comment se reconstruit-elle, dans quelles difficultés (non que la difficulté atteste d’une valeur morale, mais assurément ce coà»t personnel est àquestionner, qui replace en son dérisoire la simple question alimentaire, argument de petit poids trop souvent usité) ? Quatre écrivains en présence nous diront ce qu’il en est de leur pratique d’atelier, en quoi leur écriture personnelle et l’atelier jouent, ensemble et contre. Quoi de leur écriture joue dans ce mouvement vers autrui. Qu’est-ce qui les amène àdéplier de l’écrit (dans toute son envergure, pratique, intime, conceptuelle) avec d’autres ; qu’est-ce qui amène cet autre àvenir écouter, faire, lire et dire, ensemble, ainsi. Qu’est-ce qui amène l’autre àrevenir (ou àpréférer ne pas) ; qu’est-ce qui les pousse, écrivains, àredéplier encore avec cet autre (ou d’encore autres) ; qu’est-ce qui là-dedans épuise, lessive, fatigue nous intéressera autant – quoi de leur écriture joue dans ce mouvement vers autrui, quoi éventuellement s’en nourrit, mais aussi quoi, parallèlement, s’en défend, s’en préserve.


Avec le choix de vivrécrire sans les horaires réguliers ni le patron ni le salaire de fin de mois : les ateliers comme d’évidence pour une autre façon de découper les jours. Un équilibre s’il est tenu qui me va bien entre toute seule et le silence àmon bureau des heures durant , et puis les gens bruyère ou pierres les gens partout dedans des villes àl’autre bout ou des villages je prends le train m’en vais un peu quitte la maison reviens toujours.

Des groupes de gens des groupes des groupes àparfois ne plus rien voir de chacun seul sans le groupe. Depuis 10 ans régulièrement des groupes de gens autour des tables moi tout au bout ou au milieu dedans le groupe mais en dehors. Parfois souvent les participants peut-être toujours n’écrivent pas. Je veux dire ils écrivent le mardi soir une fois par mois ou le lundi chaque semaine ou un week-end de temps en temps ils s’inscrivent et ils payent pour écrire entre 19 et 22 heures et disent se plaignent en souriant de ne pas trouver le temps la force d’écrire tout seul sans moi sans les consignes et sans le groupe écrire tout seul bon sang de bon soir se coltiner les mots sa langue et l’inconnu et l’effrayant le difficile le jouissif se coltiner le désordre et les chemins de ses brouillons en gros : ECRIRE. Ils écrivent en 20 minutes produisent un texte qui restera figé comme ça bientôt suivi d’autres textes mêmes formats dans un cahier jamais ouvert sauf atelier. Notent la consigne écrivent des textes lisent leurs textes ferment le cahier mardi suivant relisent un peu et continuent. J’exagère et je peste c’est la fatigue et l’agacement la lassitude et la colère mais pas méchante ni méprisante jamais de la vie. Sais bien comment ça bouge dedans chacun et tous les doutes àdécouvert et les creusements les tremblements oui mais la langue dans tout ça ce qui lui manque c’est le travail et l’abandon. Sans le travail et l’abandon mesdames messieurs, mesdames surtout en ateliers, sans l’abandon et le travail dix mille séances exigeantes n’ajouteront que kilomètres àl’écriture commencée. C’est difficile je vous l’accorde, s’abandonner peut-être rien de moins facile et pas qu’en écrivant. Certaines personnes qui participent, des écrivants participants ont derrière eux plusieurs années d’ancienneté et devant eux encore encore une sorte disent-ils d’accoutumance. Et l’amitié du groupe les pauses café les petites plaintes affectueuses que c’est trop dur et pour finir les doux reproches de les abandonner quand c’est fini l’atelier l’année le projet que sais-je encore tu nous abandonnes que va-t-on devenir. Au secours signal d’alarme dans ce cas-làchez moi. Moi je ne suis la mère que de mes enfants et pas d’adultes plus vieux que moi, pas psy non plus je vous assure malgré mes airs de tout comprendre j’ai bien du mal avec moi-même.

Mais le plus dur que je vous dise, c’est quand j’écoute essaie d’entendre c’est quand je dois faire des retours sur tous ces textes écrits àl’heure alors que moi et ma lenteur àréagir. Quinze textes par exemple une seule fois dans les oreilles je n’arrive plus àécouter rien ne s’accroche j’entends les sons parfois le sens mais rien àdire autour dedans toutes mes excuses. J’exagère récemment je me suis fait une overdose d’ateliers et voilàle résultat. Mais c’était làdéjàavant en creux ce geste d’arrêter. L’autre jour déterminée àGabriel j’ai dit que j’arrêtais d’animer des ateliers d’écriture et il m’a répondu encore ?! point d’exclamation. J’avais déjàdit ça et oublié de toute façon c’est difficile de refuser mais ça y est en 2008 je refuse j’ai déjàconcrètement dit non et plusieurs fois. Car faire écrire quelle question mais pourquoi donc. Faire lire oui donner àlire donner des livres faire passer mes écrivains accompagner construire des ponts entre des livres et des gens oui oui oui mais faire écrire c’est autre chose. Inventer alors de ce côté-là, oui des passerelles accompagner faire le lien entre des gens et des livres. Après très vite quand quelqu’un a rencontré un livre pour lui ils se débrouillent tous les deux le livre et lui et moi ailleurs je continue mais avec d’autres et autrement. De l’énergie àdépenser et du désir pour inviter àlire oui se nourrir. Des ateliers de lecture donc. Avec leur lot de fatigue et de découragements aussi parce que je n’emmène pas des livres séduisants médiatiques pédagogiques très narratifs. Au rebours il arrive que lirécrire tremble de terre et secoue vif un ou une qui va venir ou revenir àlui àsoi. Peut-être làma raison de sortir encore mes livres de leurs bibliothèques, prennent l’air vieillissent dans d’autres mains ils se prolongent mais ramènent leurs vies àquelques uns qui l’avaient perdue.

21 février 2008
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