Je l’ai vue (la lumière blanche)

Dans la nuit de mardi, j’ai vu la fameuse lumière blanche. J’étais couché et endormi depuis un moment, lorsqu’une sensation étrange me réveilla, sensation d’une présence dans ma chambre. Je voulus tourner la tête pour explorer le périmètre de mon lit, mais j’eus la désagréable impression que tout tournait dans la pièce autour de moi. Dans le même temps je constatai que mes bras et mes jambes tremblaient. Mon corps entier me semblait extrêmement léger, et comme sur le point de s’envoler. Je tournai encore la tête à la recherche de cette présence, qui me paraissait être l’explication naturelle de mon état, lorsque je sentis mon corps réellement s’envoler. Je me mis instinctivement à me tortiller de façon à ce qu’une partie de mon corps continue à toucher le matelas. Cette réaction spontanée et bizarre me semblait d’une importance cruciale : rester en contact avec le lit, pendant que mon corps planait, semblait la seule façon de ne pas mourir, ou quelque chose comme ça.
Soudain une lumière éblouissante se fit dans la chambre, que je reconnus immédiatement comme la fameuse « lumière blanche » des NDE (1). Je me mis à crier « non, non, non , je ne veux pas ». Pendant que je me débattais pour rester en contact avec le lit, les objets continuaient de tourner autour de moi, et la présence dans la chambre se fit plus dense, comme si la lumière blanche avait pris la consistance de la neige. Je criai une ou deux fois encore, et soudainement tout cessa, la nuit revint, je retombai lourdement sur le lit. Le poltergeist s’évanouit et tout redevint normal et silencieux. Ecrasé et transi, je m’endormis brutalement jusqu’au lendemain, ou perdis peut-être connaissance.

Je ne sais quelle était cette présence dans ma chambre mardi dernier dans la nuit, mais il me semble que c’est la seconde fois qu’elle me fait signe. La première fois, c’était il y a quatre ou cinq ans. Mon épouse venait de subir des traitements lourds et inquiétants. Pour nous reposer et nous changer les idées, nous avions décidé de passer quelques jours à Jersey. Cette petite île anglo-normande offre de nombreux attraits pour les touristes, on y fait un séjour agréable et plaisant y compris lorsqu’on a peu ou même, pas du tout d’argent à soustraire au fisc. Peu après être arrivés de Granville par le jet-cat « La belle France », qui fait la traversée en une demi-heure depuis le port du Hérel, nous avions posé nos valises, et étions rapidement sortis de l’hôtel en direction du port, décidés à nous balader jusqu’au soir pour bien profiter de la première journée dans l’île.

Cent mètres après être sortis de l’hôtel, je constatai que je longeais les murs, tandis que mon épouse marchait plus près de la chaussée, en plein soleil. Comme ses traitements la rendaient photo-sensible, je lui proposai d’échanger nos cheminements : qu’elle soit à l’ombre, tandis que j’irais au soleil. Nous intervertîmes nos trajectoires, et continuâmes ainsi à marcher en direction du centre ville.
Mais à peine avions nous fait quelques pas que je ressentis un énorme choc, une lumière éblouissante explosa mon champ visuel et, je crois, je tombai comme une masse. Des secondes qui ont suivi, je ne retiens que les grands yeux noirs de mon épouse, qui étaient devenus grands comme des assiettes et qui me regardaient sur le fond lumineux de cette lumière blanche. Il n’y avait plus rien d’autre dans mon champ de vision ; tout avait disparu, et il ne restait que ses yeux, immenses, qui me regardaient sans bouger, et que je ne cessais de fixer, tous me sens m’ayant abandonné ; il ne restait que l’impression d’un appel, mon nom scandé dans la lumière blanche : j’allais partir.
Cet épisode dura quelques secondes ; puis, d’abord, le son revint : « Vincent, Vincent ! » : c’était mon épouse qui appelait ; ensuite, ma vue périphérique commença à se reformer, et je vis un homme presque en pleurs à côté de mon épouse qui demandait pardon comme un moulinet « I am sorry, I am sorry », plus loin des voitures arrêtées en pleine chaussée, d’où dépassaient des bras et des têtes qui demandaient s’il fallait appeler des secours. Je commençais à reprendre mes esprits, à dire « ça va », et à comprendre.

Les rues de Jersey sont très étroites, elles ont conservé les tracés et les dimensions du moyen-âge. Beaucoup sont pavées, et la chaussée est très bombée. Les trottoirs, également, sont très étroits. Lorsqu’un véhicule roule au ras du trottoir, par l’effet de la courbure de la chaussée, la partie haute du véhicule, surtout s’agissant d’un utilitaire, mord largement au-dessus du trottoir. Je marchais trop près de la chaussée, et j’avais été heurté par le rétroviseur d’un Trafic-Renault lancé à pleine vitesse. J’avais reçu le coup dans le haut de l’épaule. Si j’avais été frappé à la tête, je serais sans doute mort. Simplement assommé, je repris rapidement mes esprits. J’avais mal dans le thorax, mes genoux et mes mains étaient couverts de plaies dues à la chute, mais ça allait. J’estimai qu’on pouvait se passer des secours, et libérai les badauds et le chauffeur. Notre séjour fut un peu perturbé par cet épisode, mais nous pûmes quand même passer quelques jours à nous reposer, visitant les cromelech et les anses de granit rose de Jersey. J’ai conservé de cet événement l’impression certaine d’être passé à deux doigts de la mort.

Je sais qu’il existe des pathologies cérébrales qui occasionnent un phénomène cognitif très étrange : lorsqu’un accident vasculaire ou une tumeur sont situés à un endroit extrêmement précis du cerveau, les patients perdent la vision. Ils sont aveugles. Cependant, leurs yeux sont intacts, et continuent de voir, tandis que les patients n’ont pas la conscience du champ visuel, ils sont réellement aveugles. Cependant, les yeux sont sains, et continuent d’envoyer des signaux vers le cerveau, et en particulier au centre de reconnaissance des visages, qui est un groupe de ganglions très spécifique, opérant des calculs en parallèle de la conscience. Ainsi, ces patients, aveugles, reconnaissent les visages de personnes qu’ils ne voient pas. Ils sont capables de dire qui se tient devant eux, ou qui vient d’entrer dans la pièce, alors qu’ils sont dans le noir sur le plan visuel. Sans doute, dans les quelques secondes où mon cerveau était en train de rebooter, un phénomène semblable se produisit, le centre de reconnaissance des regards, qui est très animal et instinctif, était le seul qui fonctionnait encore, et occupait ainsi la totalité de l’espace cognitif allumé en attendant que les autres sensations soient rebranchées sur le réseau mental en cours de réinitialisation.
Les yeux de mon épouse m’apparaissaient grands comme des assiettes, et il n’y avait strictement que ça dans mon champ visuel, dont j’eus en tout cas conscience. Il y a donc souvent une explication scientifique à des événements, et des sensations étranges.

Et il est vrai que dans les jours qui ont suivi la visite nocturne de mon poltergeist, j’eus une explication plausible du phénomène. Depuis quelques jours, j’avais des bouffées de chaleur, le besoin fréquent de m’asseoir. Un médecin de SOS médecins consulté après la reprise de ces symptômes constata qu’on m’avait prescrit depuis une semaine de l’Alfuzosine, un très puissant alpha-bloquant, à la dose maximale. Or ce médicament ne doit en aucun cas être prescrit aux personnes naturellement hypo-tendues, ce qui est mon cas, et le spécialiste qui me l’avait prescrit ne m’avait pas interrogé suffisamment en détail. Dans la nuit, j’avais probablement eu une chute brutale de tension provoquant une décompensation massive de la vasculature artérielle, qui est l’effet secondaire le plus fréquent avec les alpha-bloquants. L’éblouissement, les tremblements, la sensation de légèreté et l’univers qui tourne autour de moi, tout pouvait s’expliquer par l’effet myolaxant des alpha-bloquants administrés à la dose maximale.
Si vous m’obligiez à dire pourquoi on m’avait prescrit des alpha-bloquants, je serais contraint d’avouer qu’une hypertrophie prématurée de la prostate entraînait depuis quelques temps de fréquentes mictions nocturnes, aussi irrépressibles que longues à venir, ce qui, adressé par mon médecin traitant, m’avait obligé à consulter finalement un urologue. Ce détail devrait définitivement casser l’atmosphère quasiment métempsychique de cette chronique, que j’ai eu beaucoup de mal à tenir jusqu’ici.

Cependant, ce qu’une baisse de tension n’explique pas, ce sont les objets divers, livres, vêtements, crayons, que j’avais trouvés au matin éparpillés en spirales autour de mon lit.

(1) Near Death Experiment
(2) https://blogs.mediapart.fr/vincent-fleury/blog/260512/oui-peut-manquer-un-rendez-vous-important

19 novembre 2016
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