Denis Montebello / au café d'Apollon

 

Denis Montebello vit à La Rochelle, on peut lui écrire

 

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nouveau (décembre 2003) : rue Bouboule
Denis Montebello à Melle : Maisons

L'ombre tant aimée
notes sur "Au café d'Apollon", par Jean-Marie Barnaud

à lire : les textes que Denis Montebello publie régulièrement dans Actualité Poitou Charente, explorations étymologiques dans les recettes traditionnelles de cuisine seront bientôt repris aux éditions Le Temps qu'il fait, bonne nouvelle !

L'Alcyon plaintif , Le macaron de Montmorillon, Le Farci poitevin, La Fouace, Le tourteau fromagé

et une bibliographie de Denis Montebello

"le long de la Charente on a le Nil qu'on peut"
Au café d'Apollon c'est l'ombre que tu cherches
dans la phrase qui court à midi à Enghien
comme à Mauzé le temps quand passaient les voitures
dans la Grand-rue des films au Mignon Ciné l'ombre
dans la phrase qui rampe qui grimpe à l'assaut
des tourettes où sont les muses qu'on cultive
l'ombre l'ivresse mieux que dans ton galopin
(comme on appelle ici la moitié d'un demi)
quand tu rencontres l'autre qui chasse ou qui pêche
(qui sait ce qu'il prendra au grand miroir d'en face
quel visage quelle âme) et qu'il te parle comme
il arrive qu'on trinque pour briser la glace
les mots sur le comptoir à chacun sa tournée
à cela que tu es c'est-à-dire à soi-même

Si c'est cela la prose un canal droit devant
on prendra celle-là fleurie de pâquerettes
qui vient de Maillezais pour aller à la mer
ou bien la vieille Autise on prendra s'il fait beau
le chemin de halage jusqu'au petit port
qu'on dirait bien du Kram avec ses magasins
dont on a fait le tour en moins de deux minutes
un café sans enseigne et on n'a pas d'argent
on oubliera Carthage en regardant Courdault
un colvert déguisé en père de famille
des poules d'eau des cygnes parmi les roseaux
une barque arrivée tout le monde descend
le dimanche l'été on s'accroche au pommier
on est deux ou trois pommes à saluer la chèvre
avec son pis qui traîne dans l'herbe un rosé
mais il est vieux on dit bonsoir on dit merci
aux mojettes qui sèchent à ces mains fatiguées
qui coupent des zinnias on n'oublie pas Courdault
on quitte seulement ses voûtes ses piliers
les arbres sont des arbres même si parfois
la piscine est ouverte où boire son reflet
on laissera les marches aux iris qui folâtrent
et à la métaphore les restes de quais
pour rentrer d'un bon pas en suivant l'autre rive
où un chien aboyait qui aura disparu

sur "Au café d'Apollon", par Jean-Marie Barnaud

C’est l’été à Mauzé, patrie de René Caillié, marcheur fou qui revint à pied, par le désert, de Tombouctou, ville mythique et à ses yeux décevante, dont il fut premier explorateur : à pied, cet ancien apprenti cordonnier, et le plus souvent pieds nus, ouvrant dans le Sahara une piste rectiligne aussi plate qu’une prose sans fin. Avec au bout du tracé la déception de voir son exploit à peine reconnu. Nul n’est prophète… Pas plus qu’un autre ce fils de forçat.

Si la rêverie du poète, si " scande[r] René Caillié " peuvent avoir un sens, ce n’est pas pour célébrer une gloire locale, même si le narrateur et son modèle partagent anecdotiquement la mélancolie douce des rives de la Charente, la rivière, à Rochefort (à Rochefort où Caillié s’embarqua sur la flûte Loire en 1816 ) découvrant à marée basse comme un limon fertile : " Le long de la Charente on a les Nil qu’on peut " ; même si Montebello assiste l’été à Mauzé à " la Fête à Caillié ", chemine le long des canaux, passe à Courdault dont le nom l’enchante.

Non : le poème prend sens et vie des enjeux énigmatiques et secrets qui lient le poète et l’explorateur ancien, et que la rêverie fond ensemble : leur commun entêtement dans la recherche de l’ombre, leur désir de découvrir ce qui se trame à l’extrémité des voies longues, canaux droit devant et pistes sans fin.

Or le Tombouctou de Montebello – archéologue ou géographe par les mots – le Sud qu’il espère, c’est la part d’ombre qui toujours se tient sous la langue, ombre promise et cachée sous la phrase " qui rampe ", dans le mot qui soudain vibre autrement, se mire en lui-même, comme Courdault, et montre à nu son origine et son ordre, " arché ". Tel est le voyage poétique, saveur, savoir et sagesse, qui étanche la soif du vagabond obstiné, et son plaisir, ici, de scander la marche ; et je le vois qui frappe du pied sur le sol pour entraîner au rythme sa musa pedestris.

Or, pour ce poème, et par jeu, et comme par nécessité de mélancolie – comme si une vie provinciale aussi devait y faire voir ses petits côtés d’ennui, de temps qui passe à peu de choses, à peu de mots échangés au comptoir des cafés, même si d’Apollon... ( et la référence à Giraudoux dans le premier vers, " On serait à Bellac, le désert ne croîtrait / pas plus " n’est pas innocente) – c’est le rythme alexandrin que choisit Montebello, avec ses coupes et ses enjambements risqués, qui m’ont fait penser parfois à Aragon :

" Et c’est toujours ainsi depuis qu’il y a des hommes
et qui vont s’amuser à la fête à René ".

La force de ce poème est dans cette contrainte distanciée et comme amusée que s’est choisie le poète : il y a toujours, chez Montebello un regard d’humour sur sa propre pratique, qui donne à ses textes une aisance, une allure à la fois déliée et savante, et en même temps une densité, et cela surtout quand le poète lui-même avoue devoir en rabattre de ses prétentions : " On oubliera Carthage en regardant Courdault ". Le vrai sérieux, la profondeur, on le sait, se nourrissent de considérations intempestives et inactuelles.

Je me suis attardé au premier chapitre éponyme de ce livre. Les deux parties qui suivent, " Le Jardin d’Ibrahim " et " Nostoc ", de forme libre et contractée, méditent sur les simples du jardin et privilégient le simple ; elles cherchent la rigueur de quelques images fortes, comme autant d’aphorismes. Beaucoup font mouche et résonnent longuement en vous. L’enjeu de la parole est là réaffirmé dans toute sa gravité et c’est cela qui fait l’unité de ce beau livre :

" L’ombre tant aimée,/ tant poursuivie,/ voilà maintenant/ qu’on l’embrasse/ qu’on l’étreint./ Qu’on devient,/ plus on l’embrasse,/ plus on l’étreint,/ sa proie. "

Jean-Marie Barnaud