Antoine Emaz / Depuis le temps

"un jeu de langage qui n'est qu'un langage bouclé sur lui-même est complètement stérile"
André du Bouchet, cité par Antoine Emaz

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OS paraîtra en septembre 2004 aux éditions Tarabuste

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Depuis le temps
OS, 1 (13.05.00)


non
poser cela au départ
comme un grain de sable
ou un petit bloc sûr
depuis longtemps
le bulldozer enfouit les corps remblaie
charrie cette terre d’hommes morts
bulldozer
comme un tracteur lent
sur son bout de terre à faire

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plus avant déjà
les trains la fumée
tous ces visages
enfants pardessus bagages
aussi un bruit un mur des armes
toute la ligne d’hommes s’efface
il n’y a plus que mur et taches
plus sombres

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une longue traîne de femmes dans le soir
elle n’avance pas sur le ciel épais
longue traîne de femmes
vêtues de noir
toujours les mêmes lavent les morts
vont chercher l’eau les mêmes
portent l’enfant
lui donnent à boire
quoi qu’il arrive
autant que possible

 

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un non net bloque
strie raie ponce
l’image le monde l’image poncée pas
le monde usé quand même mais pas
assez pour effacer
de l’autre côté de l’œil
voir
filer le fleuve dans son presque rien calme
à peine un bruit s’en va du temps lent
avec la terre le sable sans mémoire c’est simple
juste l’eau longue
et les vieux arbres hauts sur l’île
sans vent

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jusqu’à quel cou
coupé
une fois de plus en fin de jour
comme si le rouge se prolongeait
plus loin que la couleur à l’horizon
derrière les têtes finies
calme passant le long du fleuve
sans plus attendre
qu’une fin de lumière sur l’eau
il y a peut-être là
un taire de voir
et même le peu de bruit autour
va travaillant
cette sorte de silence

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fleuve de rien
dans cette scie lente
de l’eau ce moment hors
sauf
la couleur du soir
le poids stable des arcs
sur la loire jusqu’à
ne plus voir ce qu’on regarde laisser
filer les choses toutes laisser
le passé l’eau
laver

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plus haut ciel rouge
sierra leone
champs de diamant
guerilla corps dans la caillasse
poussier dérisoire des années
algérie
des années
quel poids encore ici
dans ce peu de bruit de loire
et la lumière tranquille
sous le rouge loin l’eau plane
plomb d’eau
fond de ciel sombre fleuve
oiseaux tranquilles maisons
femmes aux lèvres cousues camps de tri

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souffler expirer un monde
il faudrait pouvoir un temps
comme s’enfonce dans la nuit
l’enfance finie on souffle les bougies
c’est liquidé
présent comme si de rien
et internet et siècles
dans le ballant du temps
mais le sang là tant pour
si peu d’histoire
alors c’est non
malgré le fleuve qui va énorme
lessiveuse