remue.net, le bulletin

le dimanche 6 juin 2004

 

 

La classification habituelle des récits ne couvre pas, loin s'en faut, l'extension du genre. A côté des formes élaborées, pourvues d'un titre, imprimées, des simples histoires qu'on échange et qu'on oublie, prolifèrent des textes muets, sans destinataire, ignorés du narrateur lui-même. Eux aussi, pourtant, postulent des mondes. On peut ne s'être jamais su l'auteur de cette prose sourde.

 

 

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, mars 2003 

 

 

 

Bergounioux & Bergounioux

 

Il y a un et il y a deux !

On le savait au moins depuis le livre en commun publié chez Les Flohic (Las ! la maison qui nous a donné ce beau livre, tout comme ceux sur Pascal Quignard dans la même veine et tous ces essais d’écrivains sur des artistes, cesse aujourd’hui ses activités, et si on veut à tout prix se procurer B 17-G, il faudra recourir aux bouquinistes…) : ils sont deux à être nés à Brive, l’un en 1949 (Pierre)l’autre en 1954 (Gabriel), l’un enseigne dans un collège de la région parisienne, l’autre la linguistique à l’université d’Orléans. Ils étaient réunis pour ce que d’aucuns appellent  Le chant muet des origines, pour un ouvrage à deux voix sobrement intitulé L’Héritage.

 

Pierre et Gabriel Bergounioux y  poursuivaient l’entretien qu’ils ont ébauché dès l’enfance, pour relever les contours de l’expérience qui les a définitivement marqués : celle de l’intrusion du dehors dans les univers clos et immobiles de leur Corrèze natale, dans les années 60.

 

A cet égard, on trouvera un  dossier complet sur remue.net

 

Tout récemment la revue Théodore Balmoral nous a fait le cadeau des  Compagnies de Pierre Bergounioux. Outre un bel entretien avec Thierry Bouchard, des pages de Journal (« Jours de juillet » )  et un inventaire raisonné de citations : « Jerrycans, touques, moques et nourrices », on y trouve aussi  un texte tout à fait passionnant de Gabriel Bergounioux : Le Dialecte littéraire, avec « un mot » de quatre savants (Camille Chabaneau, Léon Clédat, Antoine Thomas, Jean-Pierre Rousselot) qui nous dessinent quelles attitudes on peut avoir à l’égard de sa langue d’école quand on a connu une enfance patoise.

 

De nous préciser aussi : On ne comprendra pas ce qu’écrit Pierre sans mesurer comment il n’écrit pas. Chez lui, la vision enchantée est contenue dans l’enfance et se prolonge dans l’adolescence par la grâce d’une rencontre qui en marque le terme et en prolonge l’exaltation.

 

Sans la bibliographie fournie par la revue, serait passée inaperçue, la parution chez Fata Morgana d’Univers préférables, que l’on recommande aussi pour les fusains de Philippe Ségéral, mais aussi cette veine que l’on découvre chez cet éditeur dans d’autres ouvrages de format modeste mais riches de sensations comme La Casse ou Points Cardinaux.

 

Grâce à John Taylor, (écrivain, critique au Times Literary Supplement, à  France Magazine et à Poetry) et la somme qui vient d’être publiée chez Transaction Publishers : Paths to Contemporary French Literature, nos amis anglo-saxons sauront aussi (pp 75-81 : Balancing the books) : In addition to a storytelling maternal grandfather and a taciturn, orphaned father, Hegel and Descartes are the unexpected muses of Pierre Bergounioux, one of the most singular French writers to emerge during the past decade.

 

Revenons à Gabriel.La Quinzaine littéraire (1-15 juin) publie une forte étude de Jean-Claude Chevalier : La parole intérieure sur le livre paru chez Verdier : Le moyen de parler. « Le titre même est un paradoxe, car il ne s’agit pas ici de « parler », au sens ordinaire du mot, mais principalement de cette parole muette qu’est la parole intérieure, le monologue intérieur, enchâssé par les écrivains de Dujardin à Joyce et O’Neill et bien d’autres, qui est notre compagnie ordinaire par la prière ou les soliloques : ou en toute autre occasion – et elles sont multiples – de rumination. »

 

Et d’évoquer la publication au même moment d’une production romanesque saisisssante dès son titre même : Il y a un aux éditions Champ Vallon. (Comme une « quote », séquence conforme aux principes de la langue, sans en avoir les propriétés). Thierry Beinstingel, en a fait un compte-rendu enthousiaste repris de ses « Feuilles de route » ; celui d’Alain Nicolas dans l’Humanité est tout aussi appréciable.

 

Vous avez donc le choix entre Bergounioux ou Bergounioux.

 

Ronald Klapka

 

 

le bulletin remue.net a été transmis le dimanche 6 juin 2004 à 1236 abonnés

 

                                     

 

 

infos, courrier, changement d'adresse ou désabonnement : nous écrire