spécial pirate

on ne pirate que ce qu'on aime
on ne pirate que ce qu'on aime, c'est ça l'excuse -
ça dépend de l'humeur, de la fatigue de la semaine, de la météo du dehors - et donc, ce samedi après-midi, de la boîte aux lettres qu'on n'avait pas vidée de toute la semaine, et des petites surprises qu'on y a
en voilà 3, les progrès des logiciels de reconnaissance de caractère le permettant sans trop de fatigue, à l'heure où ce serait normal, si on n'était pas sur Internet, de se le dire ensemble avec apéritif

1 - n° 42 du Matricule des Anges, à ne pas rater : l'auteur en couverture c'est du genre solide et exigeant, Pierre Autin-Grenier – 10 page, dont 5 d'entretiens, et pas de fuite devant l'explication quand elle porte sur l'écriture, du CAC 40 et de mai 68 à l'inscription du fantastique dans la poésie
alors ci-dessous l'inédit qui clôt ce dossier : "Finalement on attendra la guerre bien tranquillement à la maison" - pour le lire en beau et lire le reste, acheter le Matricule, soutien nécessaire
à noter aussi dans le Matricule: Alain Fleischer, Arno Schmidt, Jean-Pierre Siméon, et la nouvelle (toujours) d'Éric Holder

2 - n° 20 de Mouvement - pagination encore augmentée (96 pages), un engagement qui se densifie, une explication de fond entre l'art et le monde, côté danse, théâtre et arts plastiques sans doute plus que littérature, mais justement, ça complète excellemment le Matricule
certainement, l'entretien avec Aillagon, quand il nous informe que la "mission d'évaluation" de la relation ministère éducation nationale et ministère de la culture a été confiée à madame Alain Juppé en personne*, et que l'amputation nette des budgets culture est de 52 millions d'euros, ne porte pas à l'euphorie _ quant au livre, silence
vous y apprendrez dans les brèves l'histoire du théâtre de Morlaix, et en plus long un entretien Denis Podalydès / Bruno Tackels sur la "parole d'acteur"
on a seulement piraté quelques lignes: l'éditorial de Jean-Marc Adolphe - on rappelle aux patients du flash que Mouvement renouvelle chaque semaine son magazine en ligne
* PS de F Bon tout à l'heure : "six mois après le début de cette mission d'évaluation, on n'est jamais venu me demander ce qui se passait au théâtre national de la Colline, avec les secondes de Clichy-sous-Bois ou les BEP ménage et hygiène des locaux, mais j'avais peut-être mal compris: il ne devait pas s'agir de ça?"

3 - 200 signataires et plus pour l'appel Breton ce soir, une liste spéciale créée, et donc on en parlera moins dans le bulletin remue.net - en guise d'au revoir et remerciement, l'éditorial de Jean Ristat dans le n° spécial de Digraphe, en 1983 : "Naissance du surréalisme"

remue.net, la rédaction

1 - Pierre Autin-Grenier / Finalement on attendra la guerre bien tranquillement à la maison
La vie, comme ça, telle que quand l'orage à coups de castagnettes crève l'asphalte des villes et que tu n'as même pas la casquette pour te protéger la cervelle du désordre ambiant, que le tintamarre du fric t'arrache les tympans et que l'aveugle travail de sape du capitalisme va tambour battant, alors c'est du ni bon à cuire ni bon à bouillir, autant dire que dalle et gueule de bois, voilà ce que je me tue à lui rabâcher tous les matins et aussi qu'on va droit dans le mur, tu comprends. Elle fait pschitt pschitt avec son atomiseur à patchouli, elle a mis des bas aujourd'hui je me demande bien pourquoi, elle passe à la va-vite son trois-quarts beige que je n'aime pas trop, elle est déjà partie. C'est fou, je me dis, comme les femmes peuvent se montrer parfois insoucieuses du sort de la planète et de nos chagrins aussi; à croire que je lui parle palhavi, ma parole!
Claquemuré dans la coquille du quotidien comme bateau dans sa bouteille il me faudrait reprendre les choses en main certes et d'abord briser l'étau des habitudes en me levant les fesses de ce satané fauteuil à bascule par exemple, pointer le nez dehors et m'en aller rêver cinq minutes au grand air ou bien filer tel un zèbre à l'autre bout du monde voir si là-bas ça bouge un peu plus qu'ici, voilà ce que je me suis dit en décapsulant une nouvelle canette pour commencer. Parce que si je lui expose par le menu mon programme pour régénérer la société et marcher, haut les cœurs!, vers les beaux dimanches de l'anarchie, elle va encore me répondre jules et Jim, soldes d'hiver, édredon de plume et duvet d'ange et se mettre à fredonner La vie en rose; ça finira, c'est sûr, par une engueulade maison. Non, il me faut prendre le taureau par les cornes maintenant et m'attaquer moi-même à la quadrature du cercle sans quoi rien, jamais, ne progressera d'un pouce dans ce foutu pays, c'est tout.
J'allais justement lâcher mon fauteuil et m'atteler à la tâche quand Larry s'est amené à l'improviste prendre un verre. On a d'abord examiné la situation sous tous les angles en sirotant un petit whisky. Larry et moi on est vite tombé d'accord là-dessus : ce n'est pas avec deux bâtons de dynamite et un cordeau Bickford qu'on va régler le problème du bien et du mal et remettre l'envers à l'endroit; faut être yankee et avoir le cul beurré de pétrole pour croire ça, on a conclu. Oui, mais quand un brave à trois poils se pique de régenter à lui seul l'univers et menace de nous plonger tous dans la mélasse on ne peut pas rester là à tourner en rond comme des gnous dans la savane et d'abord, j'ai dit, on ne va pas laisser les choses rouler ainsi à vau-l'eau et endosser ensuite crimes et barbarie sans jamais réagir, c'est grimper au créneau qu'il faut maintenant, mon vieux, et pas mollir du tout, merde! À force de palabres et aussi de whiskies on était drôlement remontés tous les deux, surtout que Larry avait idée que la guerre rampait quasiment déjà dans le jardin.
Les foules, parfois, savent se montrer soudain prodigieuses quand l'urgence du moment leur interdit de rester plantées là, à pisser sous la pluie contre la palissade en attendant que ça passe. Des milliers de petits gars se sont emparé de la rue dans le Massachusetts comme à Paris pour sauver jadis Sacco et Vanzetti; six cent mille personnes et Beethoven accompagnèrent sur le pavé les neuf assassinés de Charonne, le 13 février , quand la sale guerre ne voulait pas céder. Et je ne te parle pas des canuts, de la Commune, encore moins des Sioux et de Sitting Bull faisant la danse du Soleil avant d'envoyer au tapis Custer et son 7, de cavalerie à Little Big Horn. Pour sûr, les Indiens ne seraient peut-être pas très loin aujourd'hui, suffirait de mobilise r 1 es troupes; une plume et tout redevient léger!
Voilà ce qu'on s'est dit avec Larry quand il est reparti en marchant un peu sur les mains à cause des whiskies. ,
Quand elle est rentrée du boulot -adieu patchouli et bas nylon, elle était vannée! elle a jeté son paletot sur le dossier du canapé, "Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui?" elle a demandé. Alors je me suis mis à lui raconter l'après-midi avec Larry et aussi comment on avak décidé de passer à l'action et changer le cours des événements; la guerre, tu comprends, quatre à quatre grimpe les escaliers et risque à tout moment de nous péter au nez et ça c'est quand même pas du palhavi ma chérie! Déjà elle s'affairait aux casseroles dans la cuisine; prends un verre et branche la télé, par-dessus son mixeur à carottes elle m'a crié, et préviens-moi dès que ça aura commencé.
© Pierre Autin-Grenier / Matricule des Anges

2 - Jean-Marc Adolphe / Bonne année ?
Ce n'est pas parce que commence une nouvelle année que les temps seront plus cléments. Évidemment, la guerre continuera, en Irak, en Tchetchénie, et dans des endroits qu'on ne sait pas encore. Le conflit est permanent; il. s'estompe ici pour resurgir ailleurs. Dans nos contrées aussi, une guerre est à l'oeuvre, culturelle, sociale, économique, et le paravent de la sécurité dissimule les intrigues qui empêchent l'humanité de se réaliser. Ce raccourci, saisissant: bientôt trente nouvelles prisons, dont huit réservées aux mineurs; le budget des arts à l'école, amputé d'un tiers.--Tout est dans cette confrontation, violente.
Bonne année? Que peut le rituel des vœux quand les mots manquent à l'appel, recouverts par le bruit du monde: l'obscénité dominante érigée en prude vertu.
Chercher les mots perdus, ceux que l'on n'entend plus guère. Ainsi, cette belle déclaration d'un député du Front populaire, en 1936, à l'Assemblée nationale: " La France voit ses charges militaires s'enfler d'année en année. La défense de. la culture, le renforcement du potentiel artistique sont aussi une forme d'une défense nationale bien comprise. "
Chercher les mots secrets de la poésie, ceux de Roberto Juarroz, fidèle allié:

" Vivre c'est être en infraction.
À une règle ou à une autre règle.
Il n'y a pas d'alternatives:
Ne rien enfreindre, c'est être mort.

La réalité est infraction.
L'irréalité l'est aussi.
Et entre les deux flux un fleuve de miroirs
Qui ne figure sur aucune carte.

Dans ce fleuve toutes les règles se diluent,
Toute infraction devient un autre miroir. "

Et chercher entre les mots les reflets où se dessinent la vie et les représentations que nous formons, identités en infraction qui échappent aux leurres des contrôles de toute sorte.
Bonne année à toutes les ruses à venir.
© Jean-Marc Adolphe / Mouvement

3 - Jean Ristat / Naissance du surréalisme (1983)
Pourquoi un numéro de Digraphe consacré à la naissance du Surréalisme ? Il ne s'agit pas de transformer Digraphe en revue d'archivistes curieux, genre supplément du Bulletin de la Bibliothèque Nationale mais d'aider à mieux devenir ce que nous sommes en questionnant nos " pères ". je suis tenté de me référer ici au texte de Sylviane Agacinski (Digraphe n°29) LE SAVOIR ABSOLU D'ANTIGONE. Ce numéro est une façon pour nous de poser la question "Que veut dire moderne ?"
Je poursuis la citation : "Si toute modernité se dit relativement à un héritage : ou bien la modernité signifie dépassement, ou bien elle est une forme de la répétition. On ne peut maintenir cette alternative qu'à définir la répétition comme autre chose que le retour du même."
Encore : "Kierkegaard répond qu'il y a le tragique, et que nous sommes modernes pour autant que nous n'avons pas fini d'interpréter l'héritage de nos pères."
Nous avons donc maintenant à interpréter cet héritage. Ce numéro en tout cas nous y invite.
Nous avions annoncé une réflexion sur la "fin des écoles, groupes ou mouvements littéraires" Digraphe 30 et celui de la rentrée (n° 32) consacré À Nathalie Sarraute peuvent être considéré comme l'amorce d'un travail qui devrait se poursuivre. Il ne suffit pas de dresser un constat (peut-être provisoire), de s'en accommoder ou au contraire de s'en plaindre dans les officines de presse ou dans les salons (y a-t-il une école Digraphe? Ah la nostalgie !) pour avancer. Digraphe travaille à la façon de la taupe de Bataille.
Le Surréalisme a-t-il bouleversé, transformé, inventé une langue nouvelle? La question se pose. Il n'est pas certain que la lecture des textes surréalistes proprement dit soit pleinement convaincante à cet égard.
Certains textes d'André Breton comme Poisson Soluble me sont aujourd'hui difficilement lisibles. Le procédé est évident et la technique de collage verbal n'a guère le pouvoir de subversion mental escompté. Mais le trajet qui va des " pères " Valéry, Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont à la révolte Dada puis à la Révolution surréaliste proprement dite jusqu'au mouvement littéraire qui prétend se mettre au service de la Révolution, reste inégalé je ne dis pas qu'il faut tenter de l'imiter, voire de le prolonger, mais je crois qu'il continue de nous interroger dans ses réussites comme dans ses échecs.
Il me semble que la question du rapport de la littérature au politique est fondamental et que le divorce d'aujourd'hui est préjudiciable à la littérature.
Le Surréalisme nous fait question aussi dans sa formidable capacité à mobiliser les artistes et les écrivains malgré le désordre anarchiste dans lequel il se complaisait. On y voit l'affirmation d'une exigence et d'une rigueur, en un mot d'une éthique qui' nous fait cruellement défaut, Écrire comme peindre engagent tout l'homme, non seulement le créateur mais à travers lui, avec lui, l'humanité tout entière. L'artiste comme l'écrivain sont comptables de leurs actes devant eux-mêmes et devant tous les hommes. C'est la mise en pratique de la formule de Lautréamont "La poésie sera faite par tous" ou celle de Nietzsche "Écrire avec son sang".
Cette folle ascèse donne à la figure d'André Breton, quelles que soient par ailleurs les réserves qu'on ne manquera pas d'émettre quant à son rôle ou certaines de ses positions, sa grandeur tragique. Cette même passion déraisonnable (aux yeux de certains) pour les autres ne faisait-elle pas écrire à Aragon en 1974 :
"Nous ne vivrons pas toujours sous des Louis-Philippe ou des Reines Victoria. Je dis nous... c'est ma façon de croire à la survie. A cette survie qui se fait dans les autres. Dans ce que seront les autres un jour ou l'autre. Après moi. Et qu'est-ce qui est le contraire du déluge ? De toute façon, c'est votre affaire, mes enfants, l'avenir... " ?
Rapprochez ce qui' vient d'être dit de ceci : " J'appelle poésie cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux grands ouverts, ce domaine passionnel où je me perds, ce soleil nocturne, ce chant maudit aussi bien qui se meurt dans ma gorge où sonnent à la volée les cloches de provocation... J'appelle poésie cette dénégation du jour, où les mots disent aussi bien le contraire de ce qu'ils disent que la proclamation de l'interdit, l'aventure du sens ou du non-sens, 0 paroles d'égarement qui êtes l'autre jour, la lumière noire des siècles, les yeux aveuglés d'en avoir tant vu, les oreilles percées à force d'entendre, les bras brisés d'avoir étreint de fureur ou d'amour le fuyant univers des songes, les fantômes du hasard dans leurs linceuls déchirés, l'imaginaire beauté pareille à l'eau pure des sources perdues...
"J'appelle poésie la peur qui prend ton corps tout entier à l'aube frémis-sante du jouir... Par exemple. "
Arrangez-vous avec cela. J'ai pourtant bien envie de dire que l'un ne va pas
sans l'autre : Servir et dans le même temps maintenir l'affirmation tragique de l'existence, que la " nuit est aussi' un soleil "... Tenir ces deux propositions, les deux moments de la contradiction, à bout de bras comme le personnage Acéphale dessiné par André Masson, Y n'est pas facile pour les fils de parler de l'héritage. Surtout si les pères, naturellement, ont pris soin de dresser l'interdit.
Toujours Aragon : " Un jour viendra qu'on va donner à tout cela une commode
explication simplifiée, dont jusqu'à aujourd'hui tant de gens se contentent... retirez de nous vos doigts d'encre ô simplificateurs des drames, vous qui tentez de toute chose donner l'explication suffisante, apaisante, l'Ah, c'était donc ça, qui permet de passer outre, de classer, classer les affaires... comme des assassinats qu'on ne s'était pas expliqués. "
Bon, je continue. je disais donc que l'écrivain, dans sa tour d'ivoire façon 1983, comme Pénélope à sa tapisserie attend le retour dont ne sait quel Ulysse et comme de bien entendu il ne voit rien venir. Veuf du monde, croît-il, il prétend, dans le meilleur des cas, porter le deuil des rêves d'un siècle moribond. Il y a des solitudes qui valent tous les conforts... Ne trouvez-vous pas étrange le désintérêt (quasi général) des écrivains pour leur temps : par exemple combien d'écrivains aujourd'hui acceptent-ils de rendre compte d'un événement politique, littéraire, artistique ?
Pourquoi n'ose-t-on plus dire simplement qu'on aime ? La peur du risque, la crainte de froisser le bel habit dans lequel on pourrit lentement mais sûrement ? Vous pouvez me donner des preuves, une liste grande comme ça d'écrivains qui.. Bien, considérons que je n'ai rien dit.
Le Surréalisme a régenté les arts. Et cependant, il est peut-être déjà le moment précis où la littérature cesse de pouvoir prétendre à l'hégémonie. Elle bascule dans le même temps où elle s'investit dans d'autres formes d'expression : la peinture, le cinéma, la publicité Par exemple. Mais par seulement. Comment nous articuler, nous ressourcer à d'autres formes ou pratiques, à d'autres domaines du savoir ?
Le Surréalisme est inséparable pour nous de la psychanalyse et de la découverte de l'inconscient. Dans ces rapports difficiles de la littérature et de la psychanalyse on sait que la psychanalyse a beaucoup à gagner. Mais la littérature aussi . Qui aujourd'hui semble encore ignorer que son je est un autre, que le moi n'est plus seul maître en son logis romanesque et que les miroirs que la vieille psychologie lui tend sont usés... Si l'on sortait du salon ?
Savons-nous encore rêver, donner à rêver et par là permettre au lecteur de mieux comprendre le monde et le transformer ? Est-ce que la barque du rêve ne s'est pas brisée pour nos générations ? Sur des illusions ?
Savons-nous encore aimer et servir puisque servir est l'autre nom que nous devrions donner à l'amour ?
La littérature aujourd'hui a sans doute besoin de donner davantage à rêver, à aimer. N'est-ce pas Maïakovski qui écrivait : "La compréhension des masses est le résultat de notre lutte et non la chemise dans laquelle naissent les livres chanceux d'un quelconque génie littéraire ?"

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