écrivains contre le Pen : Salvayre, Rouzeau, Roubaud

Le Monde des Livres publie un dossier , consultable en ligne : "Le sens d'un vote" <http://www.lemonde.fr/sequence/0,5987,3260---,00.html>
Nous nous permettons de reprendre et diffuser l'intervention de Lydie Salvayre. A noter également une intervention Pierre Guyotat. Alain Salles, dans son article "les éditeurs contre l'extrémisme", recommande visite du site de l'Association des Bibliothécaires Français (ABF) : http://www.abf.asso.fr

Les effarés, par Lydie Salvayre
Ils habitent des cités qui font, sur le pourtour des villes, comme des taches de boue.
Ils disent que l'Histoire, cette chienne, les a lâchés.
Ils pensent qu'ils ne sont rien. Des pantins agités par une main violente. Rien. L'ombre de l'ombre. Mais le jour, disent-ils, où ils vont se rattraper, ça va faire mal.
Ils veulent une vie rangée comme le linge des armoires.
Ils possèdent si peu qu'ils craignent constamment que ce peu leur soit pris.
Ils rentrent fourbus du chantier.    
 
Mais cette fatigue a du bon. Elle leur permet de supporter ce que jamais ils n'auraient supporté du temps de leur vigueur.
Ils retournent en haine tout le mal qu'on leur fait.
Certains accusent de leur sort les délinquants de leur immeuble. Peut-être ainsi s'accusent-ils eux-mêmes de ce qu'ils ont été, de ce qu'ils sont encore.
Ils rêvent de jouir de la considération de messieurs les notables, mais jamais messieurs les notables ne leur accordent cette grâce, jamais.
Ils se grisent à l'idée que, depuis quelques jours, ils sont en nombre fort, eux qui se croyaient seuls et oubliés du monde.
Ils ont une colère vieille de quelques siècles. Une humiliation inversée. Et qui monte.
Régulièrement, ils rêvent de se soumettre à un chef qui dirait bien mieux qu'eux la colère qu'ils portent. Un chef, un vrai, la mâchoire carrée et le torse arrogant, un qui en aurait nom de Dieu, un prompt à la castagne, un madré, un virulent, un qui torcherait d'entrée les bureaucrates, ces parasites, un qui fulminerait contre les corrompus qui détournent l'argent du bon peuple, un qui leur donnerait un permis d'exister, un permis bien français, ça va de soi, un qui lancerait ses foudres avec des mots massifs et sans ces finasseries rhétoriques bonnes pour les pédés et les poètes, un qui mettrait de l'ordre dans ce foutoir sacré bon Dieu, un qui ouvrirait sa gueule et qui montrerait ses crocs et sa bave et sa haine, un pitbull ça vous défend quand même mieux qu'un caniche, non ?
Le Pen, précisément, s'adresse à eux qui brûlent de prendre une revanche qui les fera enfin sortir de l'ombre, et leur parle une langue ajustée aux instincts bien plus qu'à la raison, avec des ronflements et des rodomontades et quatre certitudes beuglées emphatiquement.
Il s'adresse à eux, qu'on dit simples et faciles à berner, et comme s'il prenait du plaisir à les voir s'enrager, il leur jette des mots pour exciter la haine, car la haine c'est mieux que rien, ça fait bouger le sang qui gît, ça réveille un cœur mort, ça vous dope il faut voir.
A eux qui vivent dans un constant effarement et attendent un prophète tout entouré de flics, il offre de veiller au bon ordre moral, commençons leur dit-il par l'éradication des parasites, pas besoin, n'est-ce pas, de les nommer.
C'est vers ceux-là, les effarés, que je me tourne, avec le sentiment d'une communication sans garantie, mais pour laquelle je me sens, étrangement, mandatée. Je leur dis dans le désordre et comme je le peux : que la détestation n'a jamais fortifié un cœur, et le mépris jamais relevé une vie. Je leur dis : souvenez-vous des cris qui montaient des caves en 1943. Je leur dis : donner votre voix à ce porc c'est militer à votre perte, c'est travailler à votre mort. Retrouvez, par pitié, un peu de sens commun, car c'est la ruine que cet ignoble vous propose, la destruction de ce qui compte, l'offense à tout sens humain. Car c'est la haine qu'il vous offre pour programme, des crachats pour paroles, la Mort pour Muse, et pour couple modèle le facho et sa proie.
Puis je me tourne vers les belles âmes, que nous sommes. Dans La Cave, Thomas Bernhard raconte ceci : un jour où il marche le long de la Reichenhaller Strasse, une rue bourgeoise de Salzbourg, il fait soudain un demi-tour qui va décider de sa vie. Il se dirige alors vers la cité de Scherzhauserfeld dont il ignore tout, dont tout le monde ignore tout, sinon qu'elle est la terreur absolue de la ville, et sa honte. Il va découvrir la cité, s'y rendre utile et rencontrer des gens qui sont faits comme lui. Dès lors, il ne cessera de se réjouir d'avoir opéré un demi-tour décisif vers la cité maudite.
Et si, à défaut de déplacer le ciel, nous faisions simplement ce demi-tour ?
Lydie Salvayre
Fille de républicains espagnols réfugiés en France, vingt ans en 1968, se défiant du politique, attirée par l'encre noire de l'anarchie, elle dit être restée socialement aphasique jusqu'à ce qu'elle écrive. Psychiatre pour enfants, elle a publié au Seuil La Puissance des mouches, La Compagnie des spectres (prix Novembre 1997), Les Belles-Ames et tout récemment Eloge de l'oisiveté (éd. Verticales).

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Les éditions La Dragonne de Nancy ont fait paraître aujourd'hui un recueil de textes écrits par ses auteurs (Pierre Autin-Grenier, Valérie Rouzeau, Thierry Bouchard, Philippe Claudel, Annelise Simao, Saïd Dib...) ainsi que par des éditeurs de livres ou de revues (Le Temps qu'il fait, Cadex, Brémond, Circé, L'Animal, Obsidiane, L'Atelier contemporain, Singe, Le Dé Bleu...), des auteurs édités ailleurs (Valérie Rouzeau, Guy Goffette...), des bibliothécaires et des libraires (Bibliothèque Municipale de Nancy, Librairie Millepages, Les Sandales d'Empédocle,...) et des responsables culturels dont le CRL de Franche-Comté, l'Office du Livre Poitou-Charentes.
Ce recueil comporte plus de 60 signatures. Il est distribué gratuitement. Les 800 exemplaires ne suffiront pas s'il on veut que ce recueil se diffuse correctement. Il faut donc, pour qu'il puisse franchir le milieu culturel, artistique, littéraire, intellectuel et aller vers le plus grand nombre, photocopier le recueil et le distribuer, le faire lire, le photocopier, le distribuer. N'hésitez pas à vous renseigner et à diffuser l'info.
Vous pouvez aussi aider ce jeune éditeur indépendant qui a réagi dans l'urgence et n'a donc pas eu le temps de financer cette initiative citoyenne.
Pour se le procurer: la Dragonne, 8 rue d'Auvergne 54500 Vandoeuvre-lès-Nancy
Merci de faire passer l'info
Pour la librairie Les Sandales d'Empédocle, Christophe Grossi
on peut retrouver les Sandales d'Empédocle sur le site des librairies Intitiales : <http://www.initiales.org/>

Valérie Rouzeau, Courage les enfants
C'est la peur – bleue, bleue, bleue
Du p'tit homme – blanc, blanc, blanc
Pas son coeur – rouge, rouge, rouge

Qui gorge le fanion
Du coq de barbarie
Et lui tient de perchoir
Et le crachoir aussi:

Cockheilitlerico!
Francoricoloco!
Morococolico!

La peur qu'il faut plumer
Comme une mauvaise farce
La peur qui a couvé
Ce coq et sa cour basse.
© Valérie Rouzeau - La Dragonne "No Pasaran"

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la Maison des Ecrivains prend position contre Le Pen, et le manifeste en première page de son site, via la rubrique "Spéciale dernière"
<http://www.maison-des-ecrivains.asso.fr/>
Alain Lance a choisi pour cela un texte de Jacques Roubaud écrit en 1993 - vous trouverez sur la même page un texte d'Abdellatif Laâbi sur la situation en Palestine
on se félicite à remue.net de cet engagement de la Maison des Ecrivains

Jacques Roubaud : Le Pen est-il français?

Définition des Français selon Le Pen : Est français celui ou celle dont les deux parents sont français. Le Pen est-il français ?

Si Le Pen était français, selon la définition de Le Pen, cela voudrait dire que, selon la définition de Le Pen, la mère de Le Pen et le père de Le Pen auraient été eux-mêmes français selon la définition de Le Pen, ce qui signifierait que, selon la définition de Le Pen, la mère de la mère de le Pen, ainsi que le père de la mère de Le Pen ainsi que la mère du père de Le Pen, sans oublier le père du père de Le Pen auraient été, selon la définition de Le Pen, français et par conséquent la mère de la mère de la mère de le Pen, ainsi que celle du père de la mère de Le Pen ainsi que celle de la mère du père de Le Pen, et celle du père du père de Le Pen auraient été français selon la définition de Le Pen et de la même manière et pour la même raison le père de la mère de la mère de Le Pen, ainsi que celui du père de la mère de Le Pen ainsi que celui de la mère du père de Le Pen, et que celui du père du père de Le Pen auraient été français, toujours selon la même définition, celle de Le Pen

d'où on déduira sans peine et sans l'aide de Le Pen en poursuivant le raisonnement

ou bien qu'il y a une infinité de Français qui sont nés français selon la définition de Le Pen, ont vécu et sont morts français selon la définition de Le Pen depuis l'aube du commencement des temps ou bien

que Le Pen n'est pas français selon la définition de Le Pen.

Jacques Roubaud, provençal.

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