Au risque de se vexer avec eux

Le Matricule des Anges propose un site rénové, avec des vidéos, la possibilité (en association avec Sauramps) de commander les livres qu'ils chroniquent, et des dossiers d'archives. Mais bien sûr, on ne trouve pas sur le site Matricule le dernier numéro: on le trouve en kiosque, chez les libraires, ou en le commandant via le site. Alors sans doute qu'ils vont se vexer qu'ici on en pirate un petit bout de contenu : l'éditorial, salutaire, et qu'on tient à partager, qu'on enverrait bien au monde entier. Et un tout petit fragment du grand dossier consacré à Michel Surya, avec un entretien, un inédit, et la surprise de retrouver au-dessus de sa table de travail la même photographie de Franz Kafka que j'ai moi. Le Matricule est paginé en 60 pages serrées, on a donc comme excuse... qu'il en reste pas mal à lire.
le site du Matricule : http://www.lmda.net/
le site de Lignes, la revue de Michel Surya : http://www.leoscheer.com/index.asp
F Bon

Matricule des Anges, piratage 1 : l'édito

Jamais plus qu'au moment de la rentrée le monde littéraire ne montre sa capacité à faire des génuflexions. Il s'agit de se plier du mieux que l'on peut aux exigences de la médiatisation sans laquelle pourtant la littérature a toujours su exister. On voit ici des écrivains se prêter, sourires béats, aux pires contorsions souhaitées par des photographes, venus de la publicité. On comprend qu'ici, un accord commercial a prévalu à l'établissement de tel reportage, de telle couverture. On ne dira rien des affaires montées de toutes pièces auxquelles chacun fait mine de croire: il en va du remplissage des tiroirs-caisses. Ce spectacle semblait boué à une disparition proche: on ne peut pas, tout de même, à chaque rentrée, nous ressortir les ficelles grosses comme des cordes à linge de la jeune génération, du livre qui fait scandale, du génie tout juste sorti de la maternelle, de la belle tailleurs de plumes qui s'est mise à s'en servir différemment. Ben si. Ce manque d'imagination qui tourne au ressassement montre, s'il en était besoin, une chose: les maisons d'édition passées aux mains des services commerciaux sont dirigées par des hommes et des femmes qui ne lisent pas, qui n'ont pas plus d'imagination qu'un exemplaire du Journal officiel. Cela ne serait pas grave si cette aphasie pâteuse n'était contagieuse. Cette rentrée 2001 propose trop de mauvais livres écrits par de bons écrivains pour ne pas y voir un signe décourageant. Il y a de la précipitation éditoriale à vouloir tirer le plus vite possible le jus d'un auteur remarqué un an ou deux auparavant. Et du côté des auteurs, une trop grande précipitation à en faire partie, de cette rentrée médiatique. Trop de livres sentent aujourd'hui la commande pour faire entendre une once de nécessité à leur écriture. Et si un livre n'est pas nécessaire à celui qui l'a écrit, pourquoi le serait-il à celui qui le lit?
Imperceptiblement, ou plutôt: spectaculairement, on insinue l'idée que la littérature n'est plus, ne peut plus être, que loisir, divertissement. Autrement dit, quelque chose d'insignifiant. Cette insignifiance, éprouvée par la littérature elle-même, ne la rend que plus dévouée, serviable, auprès de ceux qui font preuve d'un peu de mansuétude intéressée à son égard: la télévision, les médias, qui lui accordent encore une petite place entre les rubriques spectacle et nécrologie. Belle inversion des forces en présence: la superficialité l'emporte sur la profondeur, l'image sur la vie.
On serait bien prétentieux d'affirmer aujourd'hui savoir où se trouve la littérature. On a quelques idées, ces certitudes de l'enthousiasme. On peut se tromper. Mais du moins convient-il de prendre la littérature pour ce qu'elle est et non pour ce que certains voudraient qu'elle soit: un jeu de hasard, une duperie cynique. La littérature ne nous divertit pas, ou alors elle nous divertit du divertissement, elle nous "détourne de nos habitudes", comme le dit Kossi Efoui sur le site du Matricule. Elle dessille nos regards. Il est possible aussi qu'elle nous effare. Mais l'effroi sera toujours plus vivant que l'abrutissement.

Matricule des Anges, piratage 2 : Michel Surya (court fragment de l'entretien avec Thierry Guichard)

Est-ce l'écriture qui tire la pensée?
L'écriture est première. C'est la phrase qui forme la pensée. Le sens n'est jamais antérieur à l'attaque de la phrase. De là la forme de la phrase, laquelle résulte de l'étonnement dans lequel me met ce qu'elle pense, anticipant le mouvement propre de ma pensée. J'écris vite et corrige peu. La forme est donnée, et elle est donnée par le mouvement même de l'écriture. En même temps, bien sûr, je ne cesse pas de penser. Mais la façon que j'ai de penser n'est pas faite pour servir à l'écriture, jamais. Et ce qui vient au moment où j'écris, je ne l'ai jamais pensé auparavant, du moins jamais sous cette forme-là. De là une espèce de distance ou d'hostilité... De dégoût même.
On a l'impression que, quel que soit le texte, vous êtes capable d'u faire surgir du sens et d'y trouver le chemin de votre réflexion?
Peut-être, en même temps, je choisis mes auteurs. Par affinité d'angoisses. C'est à peu près vrai, je suis capable de porter mes angoisses sur tout ce qui est, c'est-à-dire que je suis capable de déceler dans tout ce qui est l'analogue de l'angoisse qui m'est personnelle ou familière. Mais le mot "angoisse nécessiterait d'être réservé; il pourrait prendre un sens qui en exagérerait la portée: il suffit de parler de questionnement, de souci, d'obsession, de peur, d'identification biographique aux formes manifestes de l'humiliation subie - animale, humaine, sociale, historique... Je ne m'aperçois souvent qu'après coup que ce que j'ai écrit, et qui pourtant a les apparences de la théorie, doit en fait à des formes en partie inconscientes de réminiscence autobiographique.
Est-on alors justifié à voir dans votre biographie de Bataille des éléments de votre propre biographie?
On ne peut pas nier que c'est la règle générale, à un degré plus ou moins grand. Il n'y a de biographie possible qu'autobiographique; du moins en partie. Pour ma part, c'est une chose qui, là aussi, ne m'est apparue qu'après coup.
Faire oeuvre biographique, c'était obéir à un mouvement qu'ensuite j'ai récusé et qui consiste à mettre au jour ce qui me paraît depuis devoir être abandonné à son mystère profond, à son secret,; à sa possibilité d'échapper, de n'être saisi par personne. Ne devrait rester d'un écrivain que ce qu'il a écrit. Parce que si l'on veut que la littérature soit tout, il faut alors qu'il n'y ait rien d'autre qu'elle. J'en fais maintenant une sorte de principe impossible ou intenable.

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