Bible : l'Evangile selon sainte Mode

[CITATION...] On lance en fanfare une Bible à laquelle ont collaboré une vingtaine d'écrivains contemporains. Un pari risqué sous le signe du marketing, la volonté de faire passer un message éternel avec les moyens de l'air du temps. Cet ouvrage traduit-il vraiment le souffle des grands prophètes du désert ?
De même que le choix des écrivains, pour beaucoup publiés chez Pol et Minuit, deux éditeurs affectionnant la littérature expérimentale.[...] Les croyants, habitués à la fréquentation de la Bible, risquent de ne plus s'y reconnaître. Le présent de l'indicatif a souvent remplacé l'imparfait. Les deux premiers versets de la Genèse ont ainsi été remaniés: «Premiers/Dieu crée ciel et terre/terre vide solitude/noir au-dessus des fonds/souffle de Dieu/mouvements au-dessus des eaux.» N'assiste-t-on pas à l'introduction du snobisme littéraire dans la Bible ? [...] V o i l à pour la vitrine. En cuisine, on murmure que l’éditeur catholique Bayard, qui n’avait pas de Bible jusqu’ici, s’est empressé de commercialiser un produit assez chic et assez mode pour prendre très vite sa part d’un marché qui s’élève à 250 000 exemplaires par an. [...] C'est une expérience inédite. Un livre traduit par des gens qui ne connaissent pas les langues dans lesquelles il a été transmis ; l'œuvre de traducteurs qui se sont contentés d'arranger en français une transcription mot à mot du texte original préparée par des érudits. On sourirait s'il s'agissait d'une nouvelle version de Tacite par un amateur des pages roses du Petit Larousse ou de Shakespeare par un adepte de la méthode Assimil. Mais il s'agit d'une Bible, une Bible selon Saint-Germain-des-Prés, concoctée par une vingtaine d'écrivains parmi les plus en vue du moment; et le discours prétentieux qui accompagne sa promotion par l'éditeur catholique Bayard fait tout accepter.
On s'émeut, on se pâme, et personne n'ose mettre en doute le sérieux de ces deux Testaments ficelés en français par des gens incapables de se reporter seuls à l'original hébreu - d'étranges traducteurs qui n'ont nul commerce personnel avec le grec de la Septante et le latin de la Vulgate. On se contente de réciter leurs noms - François Bon, Frédéric Boyer, Emmanuel Carrère, Florence Delay, Jean Echenoz et Marie Ndiaye, Jacques Roubaud... -, en s'émerveillant de voir des écrivains s'intéresser aux Livres saints, ces crâneurs ne daignant pas saluer d'autres prédécesseurs que Paul Claudel et Jean Grosjean.
Et Racine, malheureux ?... Et Corneille, et Pascal, et Bossuet ?... Et cette admirable Bible de Port-Royal dont Lemaître de Sacy fut l'orfèvre ? Et tout le XVIe siècle amoureux des Ecritures... Clément Marot, Agrippa d'Aubigné, Jean Bertaut... Et La Ceppède, et Malherbe et Racan ? Et Leopardi goûtant dans l'original hébreu une sécheresse créant un effet de vague poétique ? Léon Bloy vivant sous perfusion avec le latin de la Vulgate... Rimbaud paraphrasant la Bonne Nouvelle... Paul Celan employant les Psaumes à une montée transgressive vers la divinité ?
Non seulement des écrivains se sont déjà intéressés à la Bible, mais tous les écrivains n'ont fait que ça, traduire, honorer, parodier, détourner, commenter, réinterpréter le Livre auxquels se rattachent tous les livres.
On laissera les questions de philologie aux spécialistes pour s'en tenir à la littérature, principal argument de vente d'un volume qui ne révolutionnera pas la science des textes.
Ce qu'apportent de nouveau les traducteurs rassemblés autour de l'écrivain Boyer et du prêtre Sévin, facétieux maîtres d'œuvre de cette Bible gadget, c'est cette écriture blanche, frigide, anorexique, qui fait le bonheur des éditions de Minuit et de POL et le malheur de la littérature française depuis quelques décennies.

Tout ça c'est vrai, puisque c'est dans le Figaro Littéraire. On ne s'est jamais lancé sur remue.net dans une critique de la critique, et il faut ce genre d'excès pour s'intéresser au Figaro même Littéraire et en sourire! Par les temps qui courent, un petit sourire une fois, ça ne fait pas de mal.
Je me suis expliqué sur ce travail, pour ma part, via la mise en ligne d'un entretien avec Patrick Kéchichian.

Pour juger sur pièce, on tient donc à signaler les rendez-vous suivants :
mercredi 26 septembre, 19h30, à Beaubourg, Revues Parlées, 15 lectures brèves par (dans le désordre) Jacques Roubaud, Frédéric Boyer, Florence Delay, Jean Echenoz, Marianne Alphant, Anne Dufourmantelle, Jean-Luc Bénoziglio, Olivier Cadiot, Pierre Alferi, Marie Depussey, j'en oublie, Valère Novarina bien sûr, et moi-même en duo avec Stéphanie Béghain

du 29 septembre minuit au 30 septembre 6 heures du matin, sur France-Culture : lectures par les mêmes, mais plus longues, et sur l'ensemble de la Bible - réalisation Jacques Taroni - dans la première heure : Jacques Roubaud, Pierre Alferi, Olivier Cadiot, et exceptionnelle lecture d'Amos par Valère Novarina
on peut écouter sur Internet (et j'espère que ça fera partie des archives en ligne pour le différé)

manifestations et lectures prévues aussi à Nancy (Centre dramatique national, ce samedi 22), à l'Odéon, au Studio Théâtre de la Comédie Française, à la Villa Gillet de Lyon, à la librairie Sauramps de Montpellier, etc...
F Bon
http://www.remue.net