Le Ministère de l'Éducation Nationale vient de mettre en ligne un important ensemble de documents sur les programmes d'enseignement de la langue, dans les différentes classes et les différentes filières.

Inclus dans cet ensemble, les "documents d'accompagnement" dont l'un, Démarches et progressions comporte un long développement sur l'écriture d'invention, le rapport à la dissertation, le rapport aux pratiques orales, à l'évaluation, qui est un approfondissement considérable et un vrai bol d'air. On y croise même, très discrètement, les noms de Cendrars et Ponge, de Sarraute et Beckett.

On continue de penser, et c'est la raison de développer le site remue.net, que l'articulation sur la littérature contemporaine, apprendre réellement à travailler depuis Georges Perec ou Valère Novarina, est un vecteur inouï, auquel pour l'instant rien dans l'institution ne prépare.

Il ne s'agit pas d'une sorte de postface à l'enseignement traditionnel, mais bien d'un levier pour introduire à la perception "raisonnée" (titre d'un autre document d'accompagnement "étude raisonnée de la langue") de l'héritage littéraire, et d'acquisition dans la maîtrise de la langue (la phrase de Bataille : "Car nous n'aurions plus rien d'humain si le langage en nous était en entier servile" garde son actualité).

On continue aussi de penser, et c'était le sens du débat d'avril-mai dernier sur le site, qu'il est incroyable qu'en France aucune structure type labo CNRS, aucun lieu ressource pour l'étude de ces techniques et perspectives ne soit développé, au regard de l'importance de ces questions, et au regard de l'ensemble des autres dispositifs et centres de recherche. L'investissement serait bien modeste, en comparaison.

Qu'on le mesure à l'absence de tout programme de formation d'enseignants dans une continuité et un suivi. Non pas que nous nous posions, écrivains pratiquant les ateliers, en possesseurs de savoir, mais bien parce que ces formations, le relais qui s'ensuit, est la seule piste concrète de recherche commune et d'exploration, de mise en pratique. Qu'on le mesure aussi à l'absence de plus en plus criante d'écriture créative dans les universités et grandes écoles, hors une dizaine d'exceptions dont Aix-en-Provence, Grenoble et Rennes.

Il n'y a pas de jour qu'on ne reçoive sur le site remue.net des demandes d'enseignants concernant ces formations : on les renvoie désormais à leurs rectorats, en leur suggérant d'augmenter la pression... Il ne nous est même pas possible, avec nos moyens bénévoles, de faire l'écho sur remue.net du versant positif : malgré le décalage grandissant avec l'institution, les enseignants, un peu partout, sont de plus en plus nombreux à recourir à ces démarches d'écriture créative, et ce qu'il y aurait de neuf, depuis deux ou trois ans, c'est que l'exigence des contenus marche de pair. On commence à savoir un peu mieux quoi faire et comment le faire.

L'ensemble de contributions recueillies l'an dernier sur remue.net, avec appui sur des textes d'Yves Bonnefoy, Pierre Reverdy, Paul Fournel, Leslie Kaplan ou Hervé Piékarski garde donc sa pleine verdeur : on a procédé à une restructuration et une mise en page qui permet de les exploiter. On trouvera aussi sur le site une page de liens ateliers d'écriture révisée et complétée.

Alors considérons le positif et l'intelligence de ces nouveaux documents d'accompagnement, pensons qu'il y a moins d'un an un enseignant à Abbeville se voyait mettre en garde-à-vue pour avoir utilisé en classe un livre figurant dans ces instructions de programme.

Déplorons pourtant le retard qui s'accroît de façon bien trop déséquilibrée, quand il suffirait de si peu pour réamorcer la chaîne dans l'autre sens : permettre aux enseignants confrontés à ces instructions d'acquérir et pratiquer eux-mêmes dans l'univers maintenant mature de l'écriture créative.

Citer Beckett tant mieux, savoir comment travailler à partir de Beckett avec des élèves de seconde, de SEGPA, ou de troisième année d'Arts du Spectacle, c'est difficile : personnellement, il m'a fallu une dizaine de séances d'essais, en particulier lors des stages de formation qui subsistaient malgré tout (ce n'est plus le cas cette année), pour l'apprendre et le construire. On me pardonnera de souhaiter le partager.

Nous maintenons que ce qui se dessine de novateur, et qui nous surprend toujours par sa capacité à interroger aussi bien l'urgence, le blocage ou la crise, que les pans neufs du savoir, ne peut trouver sa vraie effectivité tant qu'on n'abordera pas de front le recours au domaine contemporain, sa diffusion dans les IUFM par exemple, et la formation continue des enseignants qui le souhaitent dans un esprit de partage et de recherche.

Il ne s'agit pas ici d'une intervention polémique: depuis un an, au contraire, le dialogue s'est solidifié, et on n'a jamais manqué à proposer, réfléchir, les quelques 100 pages d'intervention de l'an dernier en témoignent. Mais quand se développent dans tous les autres domaines une réflexion sur les pratiques culturelles, bien forcé de constater que le mot écriture n'est jamais prononcé, bien forcé de constater que les initiatives de formation continue pour lesquelles on nous sollicite ne peuvent aboutir, en France tout au moins.

Le site remue.net continuera d'être l'écho et le relais de ce qui, un peu partout, se développe et innove en ce domaine, et bénéficie désormais pour cela d'une rédaction collective.

Bien cordialement,
François Bon et l'équipe de remue.net

Le Théâtre de la Colline diffuse un film de 52', réalisé par Jérôme Schlomoff : "Moi-même dans un monde parallèle des autres", à partir d'un atelier de deux ans en classe CAP Ménage et Hygiène des locaux du LEP Edmond-Rostand à Paris : écriture la première année, corps/voix/mouvement la seconde année, incluant une séance d'écriture en temps réel à partir de "Bing" de Samuel Beckett. Rens : mailto:a.stepien[@]lacolline.fr