- Pourriez vous me parler de votre
parcours ?
JS - Alors, études abrégées, vie active à
15 ans, des vingtaines de petits boulots, puis après une école
des Beaux Arts, où je me suis pris au jeu, alors j'habitais la
basse ville toulonnaise avec l'apprentissage farouche de la rue comme
on dit, quelques expositions de peinture pendant quelques temps et puis
après les marchés, vendeur forain, je rédigeais à
partir de 76, des petites pièces dramatiques pour un café
théâtre local en échange du gîte et du sandwich,
voilà, travaillant surtout sinon dans les foires et marchés,
y a une période lyonnaise, composition de quelques chansons avec
des reproductions de tableaux avec l'Italie et puis après Paris,
toute une période à Paris, 3 ans, dans une chambre de bonne,
parfois dormir dans la voiture, aussi, mais une période assez fructueuse,
assez heureuse en fait, et puis après retrouver des amis, remonter
la pente, écriture surtout du premier manuscrit, c'était
en 83, voilà, aux éditions de minuit, qui ne sera pas publié
mais qui a été à l'origine de ma rencontre avec Jérôme
Lindon qui m'a encouragé à continuer, c'était parti
quoi.
- Comment définiriez vous un atelier d'écriture
?
JS - Oui, bon. En ce qui me concerne, c'est un endroit où
réunir des gens, peu à peu, à force de parler former
un esprit de corps, essayer de trouver des moyens, des prétextes
pour déclencher le besoin d'écrire et parallèlement
trouver le meilleur outil possible, c'est à dire, que le langage
devienne efficient pour arriver à creuser un peu ce qu'on a vraiment
à dire, ce qu'on à sortir, c'est en parallèle, avec
l'outil on arrive mieux à creuser puis quand on commence à
creuser on a envie que l'outil devienne plus efficient, cette chose là
s'alimente très vite, d'elle même. Un atelier d'écriture
pour moi, il faut que celui qui anime, en l'occurrence moi, là,
donne cette envie et en même temps ait le recul nécessaire
à tout moment pour pouvoir rendre immédiatement conscientes
des choses qui sont à l'état latent, dans le texte.
- Depuis quand menez vous des ateliers d'écriture
?
JS - Depuis 5 ans à peu près. Au début c'était
en zone défavorisée, en Seine St Denis, puis en milieu carcéral,
c'était à Poitiers, puis à Nice, puis à Strasbourg.
C'est surtout comme ça, c'est des gens qui sont réputés
ne sachant plus verbaliser leurs émotions où n'ayant pas
encore compris la nécessité de le faire, et actuellement
je peux me vanter de ne pas avoir eu d'échecs, j'arrive et on me
dit ces gens là n'écrivent plus, ne parlent plus, ils sont
au fond de la classe ou alors ils sont au fond de leur cellule, et puis,
et puis y a pas d'échecs. Ils commencent par me faire plaisir,
ils veulent que je revienne, histoire de discuter ou d'avoir des clopes,
et puis au bout de 3 séances, ils reviennent parce que le pli est
pris, ils ont envie d'aller plus loin.
- Quelles sont vos différentes expériences,
en ce domaine ?
JS - Bon, ben c'est surtout avec des échecs scolaires, avec
des carcéraux ou avec des gens qui sont au chômage longue
durée et donc qui arrivent quand y a des rencontres pour les réinsérer,
des gens qui n'arrivent plus à faire des phrases, qui n'arrivent
plus à penser d'une manière cohérente on me les envoie,
on les réunit, et puis je suis chargé de leur réapprendre
à verbaliser, à avoir une cohérence dans leurs discours,
et avoir un discours sympathique aussi, parce que souvent au début,
c'est la récrimination, on traîne les pieds, on a pas envie,
c'est antipathique, un discours souvent d'exclus. La grande question,
évidemment à laquelle j'ai pas de réponse, c'est
est-ce qu'ils sont devenus vraiment négatifs, ronchons, on peut
dire antipathiques parce qu'ils sont exclus, ou est-ce qu'ils sont exclus
parce qu'ils sont comme ça ? Je ne sais pas, toujours est-il que
assez vite, je peux leur faire prendre conscience de cet état de
fait et puis de la nécessité de le modifier, voilà.
Prendre conscience qu'il y a une écriture, un discours qui peut-être
sympathique, plaisant, charmant et un autre qui est négatif, qui
fait qu'on a pas envie d'avoir à faire à cette personne.
- Qu'est-ce qui vous détermine à accepter
un atelier plutôt qu'un autre ?
JS - Ben, c'est quand je sens qu'il y a vraiment, que non seulement
je pourrais peut-être apporter quelque chose et surtout que moi,
ça va m'apporter aussi, parce que y a moi aussi dans le coup, je
suis curieux, aller voir des taulards, je suis très curieux de
cette condition, de cette possibilité humaine à laquelle
je m'identifie, je suis assez romantique pour ça. Donc il faut
que ça m'intéresse et puis que je sente que ça peut
intéresser les autres. Je ne vais pas par exemple, y a des FNAC
qui me proposent d'y aller à 200 francs la séance, enfin
eux paieraient 200 francs pour venir s'exprimer, c'est à dire me
montrer le talent qu'ils ont, ça, je fais pas ce genre d'ateliers,
je ne suis pas là pour conforter des gens qui pensent avoir un
petit talent, il ne s'agit pas de ça. Je vais là où
je pense que la langue a besoin d'être affûtée pour
dire des choses parce que dans ce coin là du monde, où dans
cette situation là, des choses ont besoin de sortir et n'y arrivent
pas bien, je viens aider à ça.
- Quelle est la durée en général
?
JS - Trois heures, c'est mon temps, moi je veux 3 heures par séance,
et au moins 10 séance, généralement c'est 12, voilà.
Trois heures, parce qu'il y a toujours une heure où on parle, où
j'essaye que se refasse l'esprit de corps, c'est à dire qu'on est
plus peur des uns & des autres et puis après il faut un peu
plus d'une heure pour écrire, pour se frotter à l'écriture
elle même et puis après il faut le temps de lire, c'est à
dire que chacun lise ce qu'il a réussi à écrire,
sinon je les lis moi même, je propose de les lire moi même,
et puis sans forcer bien sûr. Je reconnais le droit à celui
qui a écrit de prendre le temps de s'en reconnaître l'auteur.
- Le type d'atelier ?
JS - Je crois que j'ai déjà répondu à
ça. Le type d'atelier, moi je suis pour le groupe, que se fasse
un groupe, qu'il y est une cohérence. Je sais, par expérience,
c'est pas une théorie, que quand les gens n'ont plus peur des uns
& des autres commencent à se livrer, ça va tout seul.
Quelqu'un qui se livre est quelqu'un qui devient aimable. Avec ce qu'on
a dit en trop on s'arrangera toujours par contre avec ce qu'on a pas dit,
là on commence à crever. Quand quelqu'un dit une chose y
a immédiatement la synthèse entre la chose entendue et ce
que ça a donné envie de dire d'autre, alors ça fonctionne
comme ça.
- De public ?
JS - C'est un public qui à l'origine n'est pas réputé
avoir de la facilité pour le discours, pour l'écrit mais
qui a quelque chose... par exemple dans les cités, je sais qu'il
y a un langage qui est terriblement, enfin pour moi très beau,
en tout cas qui est terriblement typique, qui est typé et moi je
m'intéresse à cette façon de s'approprier le langage
avec tout ce que ça charrie évidement, la façon de
dire va avec la chose à dire. Quand on dit d'une certaine façon
on dit certaines choses, voilà, y a des échelles de valeurs
qui sont pas celles réputées, pas celles officiellement
rapportées par la télé, qui nous uniforme un peu
tout. Je sais que j'ai appris énormément là dessus,
en Seine St Denis et aussi en milieu carcéral. Voilà, c'est
un public qui n'est pas tellement représenté dans la pensée
en France et qui manque au départ, voilà, mon choix de public
se porte vers ça, vers des voix qui nous manquent.
- Où se déroulent les ateliers ? Dans quels
lieux ?
JS - ça aussi j'y ai à peu près répondu. C'est
des lieux avant tout (dé ? )favorisés, mais le lieu même
de l'écriture y faut que ce soit un lieu, peu importe mais enfin
j'aime bien que ce soit un coin parce que certaines qualités de
gestes et de mots vont avoir lieu dans un certain lieu, il faut d'abord
qu'il y ait un lieu pour que certaines qualités de choses aient
lieu. Voilà, qu'on s'approprie cet endroit.
- Est-ce qu'un écrivain apporte quelque chose
de plus à l'atelier par rapport à un simple animateur ?
JS - Bien évidemment ! C'est comme si on demandait est-ce
qu'un maître nageur apporte quelque chose de plus pour nager. Evidemment,
y faut savoir de quoi on parle, c'est un minimum, il faut avoir une expérience
de l'écriture de l'intérieur, y faut s'être frotté
à l'écriture pendant, tous les jours, tous les jours pendant
des années pour savoir quels sont ses détours, pour savoir
quels sont les pièges qu'elle peut tendre, les petits trucs qui
font que ça déclenche une envie d'aller plus loin, y a des
petits trucs qui font qu'une petite barrière cède et qu'on
peut aller encore plus loin, des petits trucs que j'ai d'abord exercé
sur moi, souvent par accident, et j'ai pu vérifier que ça
marchait avec tout le monde, donc voilà, j'emploie ces petits trucs.
Il faut avoir absolument, une longue, longue, longue et têtue pratique
de l'écriture pour, et puis pour avoir le recul aussi, devant un
texte pour pouvoir immédiatement sentir où y a des qualités,
où y a une vraie personnalité, où c'est fertile et
puis aussi où ça c'est facile, ça c'est pas la peine,
on le sent tout de suite, y a un recul. Il faut pouvoir dire à
l'autre, là c'est toi, là c'est vraiment quelque chose qui
est revenu trois fois, tu tournes autour de quelque chose et ce recul
on ne peut l'avoir qu'après une longue pratique de l'écriture.
- Qu'est-ce qu'écrire pour vous ?
JS - Ecrire c'est arriver à dire des choses qu'on ne dit pas, quand
on parle oralement. Ecrire, c'est ce moment où on laisse aller
l'écriture qui en sait plus que nous, où l'écriture
se fait presque par elle même à travers soi, ça arrive
à tout le monde ça, au cours d'un atelier. Généralement,
autour de la 3ème séance, à un moment l'écriture
se met à se développer toute seule, sous la main de celui
qui est l'écrivant et elle nous emmène beaucoup plus loin
qu'on aurait cru aller et là ça devient vraiment enfin de
l'écriture. Tant qu'on maîtrise, tant qu'on dit que des choses
qu'on savait, qu'on voulait dire, c'est jamais très intéressant,
l'écriture c'est quand elle se fait d'elle même. C'est pour
ça que le fameux vieux débat, est-ce qu'il faut travailler
sur son vécu, sur son autobiographie ou est-ce qu'il faut être
dans la fiction, mais ça m'intéresse pas du tout, c'est
une fausse question ça, peu importe, si on veut écrire sur
soi, moi je m'en moque, on inventera de toute façon, on invente,
on se fait encore plus d'illusions sur son passé que sur son avenir,
qu'on aille dans la fiction mais on se trahira dans la fiction, donc on
se révélera. Quand on se révèle on se trahit,
quand on se trahit on se révèle, tout ça c'est ensemble,
donc c'est une fausse question. Le tout, est d'avoir eu envie d'écrire
et d'y aller voir, de toute façon on sera là, quelque soit
le prétexte, on sera là, au détour de l'écriture
on va se montrer.
- Quelle est la place de l'écriture dans les
ateliers que vous menez ?
JS - Mais elle prend toute la place, c'est le but. L'écriture
est le but. Faut que l'écriture s'y retrouve, ça, c'est
à dire même si y a des débordements de syntaxe, des
débordements peu importe. Quand y a un débordement, même
quand après, ça se retire, il en est resté sur les
berges des petits limons fertiles, la place de l'écriture, ben,
elle a toute la place, on est là pour l'écriture, voilà.
On me demande parfois est-ce qu'écrire fait du bien ou du mal mais
cette question en fait m'intéresse assez peu, pour ce que j'en
sais, pour moi, ça va pas mieux après avoir écrit,
mais ça va pas pire. C'est pas mieux que de tout garder en soi,
je crois pas. Je crois pas qu'on est là pour une thérapie
quelconque, je ne crois pas qu'on est là pour aggraver les choses
non plus, ça va pas pire une fois qu'on a nommé les choses,
je ne pense pas.
- Est-ce que vous écrivez avec les participants
?
JS - Non, j'écris pas avec les participants, pas du tout,
non, je suis pas là pour ça. Il m'est arrivé parfois,
mais ça n'a rien à voir, ceux qui ont du mal à se
mettre à écrire le premier mot, quand on parle au début,
pendant la première heure, il m'arrive de noter sur leurs pages
des choses qu'ils viennent de dire, ils s'ont pas rendu compte que c'était
beau, et alors je dis "tiens tu viens de dire par exemple tellement
j'ai pas envie d'être ici, qu'il m'arrive que des accidents"
je dis, ça c'est magnifique, c'est une phrase de poète,
ça, c'est déjà un bon départ. Et au bout de
2 ou 3 choses qu'ils ont dites et qui m'a paru valoir le coup d'être
écrites, je les écris et on peut dire là que j'ai
écrit avec eux mais j'écris sous leur dictée, pour
ainsi dire. Moi, j'écris rien de ma part, rien venant de moi au
milieu d'eux, non.
- Dans les textes produits, visez vous l'exigence
littéraire ?
JS - Non, non. Je vise l'exigence, oui, l'exigence de clarté
pour nommer les choses, que le sentiment soit clair, pas nécessairement
le sens, y a une exigence de la beauté, c'est à dire qu'il
y ait un temps, un rythme, que ce soit agréable à entendre.
Oui, y a une exigence mais pas littéraire, on n'est pas là
pour découvrir de nouveaux talents, ça peut arriver mais
je suis pas là pour ça. De toute façon, si quelqu'un
veut être écrivain ça sera envers et contre tout,
y compris moi, ça a toujours été comme ça
la littérature, on peut pas être encouragé en littérature,
ça se fait contre.
- Que deviennent les textes produits ?
JS - Et bien ça dépend ça. Moi, quand j'arrive
dans un nouvel atelier d'écriture c'est une chose dont je discute
avant tout. Qu'est-ce qu'on va faire de ces textes ? C'est à dire
quels seront leurs statuts, et puis pourquoi on va travailler ? Parfois,
on tombe d'accord sur, on va faire un petit livret, alors là, je
demande des subventions à la DRAC qui généralement
les donne ou alors on décide de les faire dire par des poètes.
J'ai la chance d'avoir des amis comédiens au Théâtre
National de Strasbourg qui viennent volontiers dirent les textes obtenus.
Enfin, on s'entend au départ, qu'est-ce qu'on va en faire de ces
textes avant d'écrire ? C'est un deal qu'on passe entre nous et
qui peut être discuté à tout moment. Si y en a qui
veulent les garder pour eux, ils peuvent très bien, le statut des
textes on le définit au départ, avant tout, entre nous,
entre eux et moi, voilà.
- Sont-ils diffusés ? Publiés ? Edités
?
JS - Oui, s'ils le souhaitent et si c'est possible, par exemple,
avec les taulards de Nice, ils voulaient que ces textes soient publiés
dans un magazine à grand tirage et j'ai été voir
les gens des Inrokuptibles, on a discuté longuement, et ils ont
dit d'accord si tu nous fait un article avec, j'ai pondu l'article et
les textes sont parus avec l'article. Voilà, tout ça s'est
discuté avant et après je m'y tiens. Faut être de
parole dans ces cas là et jusqu'à là j'ai pu me tenir
à nos engagements.
- Comment définiriez vous cette écriture
?
JS - Pour moi je la définis, simplement c'est la voix, mais
quant au débat, quand Bilalien au journal de 20h nous parles des
cités, c'est toujours une cité archéotypée
qui n'a rien à voir avec ce que je sens, avec la parole que j'en
ai, avec ce que je sens que ça charrie. Moi, l'écriture
que j'obtiens est toujours une écriture presque ethnologique, on
pourrait dire, c'est, cette vois là manquait au départ,
manquait au monde et cette voix là existe et elle est belle, et
elle a sa beauté, son rythme, c'est un langage. Voilà.
- Comment s'organisent les séances ?
JS - Moi, systématiquement j'arrive, personne ne touche son
stylo, avant au moins 1 heure, on parle, on parle, on parle pour que se
dégage les sujets qui nous préoccupent le plus à
ce moment là, et puis bien sûr, moi j'ai mon idée,
dans un atelier j'ai toujours une marche à suivre, c'est une progression
généralement en 12 points, plus, d'empêche que je
me laisse aussi guider, évidemment, par les fluctuations, qu'est-ce
qui les préoccupe ? Si y a eu un incident dans la semaine, et qu'ils
ont très envie d'en parler, on va bifurquer un peu, on va aller
voir par là qu'est-ce que ça leur a donné envie de
dire, comment on va arriver à faire passer quelque chose ? Moi,
je veux toujours qu'on parle, parle, parle, avant, et je tiens énormément
à ce qu'à la fin, on publie avec notre voix des textes obtenus
ou alors la fois d'après si on a eu besoin d'une semaine pour s'en
reconnaître l'auteur, ça on a tout à fait le droit
de ça.
- Comment procédez vous ?
JS - Et bien, voilà je viens de le dire, pour à chaque
fois, la séance d'après, quand je viens, je relis certains
des textes et puis je donne des exemples de trucs qui sont maladroits,
qui ne servent à rien, par exemple quand un petit texte nous a
amené à penser oh que la vie est injuste c'est pas la peine
après de nous faire 3 lignes que tout ceci était injuste,
ça va on a compris, ça va. Ou alors, si certaines introductions
sont trop longues, ça c'est un vieux tic scolaire, on a pas besoin
d'introduction, on peut commencer directement dans le sujet, en plein,
là, je donne toujours mon avis, mais c'est discutable, tout est
discutable mais je donne mon avis, là je me suis fait chié
mais je ne suis pas le seul, tout le monde, en entendant cette (?) s'est
emmerdé et c'est pas la peine d'emmerder les gens. Je parle du
texte obtenu, je souligne ce qui est de l'ordre de la réussite
et je dis ce qui est indéniablement emmerdant.
- Avez-vous une méthode particulière
?
JS - Oui, bien sûr, j'ai cette méthode là, de
parler de tout et puis de chaque fois recommencer une séance avec
les boulots de la précédente et puis aussi que chaque chose
soit entendue, résonne, et puis aussi souvent j'emmène des
livres à moi, des trucs que j'ai en bibliothèque et puis
je lis, des exemples, je dis "tiens écoutez, là il
a parlé d'une chose pendant 3 pages, y dit jamais de quoi il s'agit
mais c'est un portrait en creux, si on essaie de faire comme ça...".
Voilà, je donne des petits exemples qui moi m'ont aidé,
et généralement qui m'a aidé moi et les autres, ça
j'ai pu le vérifier.
- Quelle importance accordez vous à la réécriture
?
JS - Enormément d'importance, quant à moi, voilà.
Je suis pas quelqu'un qui sacralise excessivement les premiers jets, je
crois qu'on gagne toujours à réécrire les choses,
généralement pour supprimer des choses. Généralement,
on assez peu, si ça arrive, qu'on ait besoin d'expliciter, parfois
passe un peu trop vite sur quelque chose qui nous a paru vraiment, méritant
d'être creusé, d'être fouillé, on dit ah, là
fallait s'y attarder. Par exemple, récemment une taularde m'a racontée
quand les flics sont arrivés chez elle comment ils ont fouillé,
alors qu'elle était en pyjama sur son lit, ils ont fouillé
toute sa chambre, vidé les tiroirs, et elle disait ce fut très
gênant, "oui mais encore ? Très gênant, oui mais
on y était pas, moi je veux bien te croire, mais emmène
moi à la penser, à la sentir la gêne, ne me dit pas
que c'est gênant, fais moi ressentir la gêne" et là
elle est rentrée dans la description des tiroirs, soulevant les
soutiens gorge, en disant la taille "ah ba dis il devait pas s'emmerder
ton mec avec toi" et tous ces trucs là, et on a la ressent
la gêne, alors elle a fait un passage extraordinaire... mais encore
? Parfois oui il faut expliciter mais la plupart du temps ce qui arrive
c'est qu'il faut aller plus vite, oui mais là, on avait déjà
compris, faut enlever, voilà... Réécrire souvent
c'est nécessaire.
- Quels rapports nouez-vous avec les participants
?
JS- C'est des rapports de confiance, qui sont terriblement intenses
pendant tout le temps de l'atelier, généralement mais je
dois dire aussi que je coupe ces rapports brutalement après la
dernière séance, alors il y a deux choses, premièrement
d'un point de vue pratique, je ne peux pas continuer, j'ai quand même
fait maintenant des trentaines de séances, au moins et je peux
pas garder des rapports privilégiés avec chacun d'eux, il
faut du temps, des disponibilités, bon, y a aussi qui attendent
de moi, d'un écrivain qui anime, ils attendent beaucoup trop, je
m'en rend compte, ils croient que s'ils arrivent à lier des liens
privilégiés avec moi, beaucoup de leurs problèmes
seront résolus, c'est pas vrai. Je peux pas grand chose pour eux.
Ce que je peux, je leur ai donné, essayer de se débrouiller
avec la langue, mais je peux pas grand chose d'autre. Et en plus, je sais
qu'ils ont plus besoin de moi, je pense, la plupart une fois qu'ils savent
se débrouiller avec l'écriture, en fin de séance,
au bout de 10 séances de 3 heures, je crois que vraiment, je le
sais aussi, puisque j'ai des espions, les bibliothécaires me le
disent, ils peuvent continuer à écrire, ils se réunissent
encore souvent pour continuer à écrire, le pli est pri.
C'est à dire, ils ont vu ce que l'écriture pouvait pour
eux, et ils n'ont même plus besoin de moi. Souvent, même à
la 9, 10ème séance, ils parlent entre eux, ils se lisent
entre eux, je viendrais pas ça ferait pas une grande différence,
y a un moment... et ça c'est réussi, à partir du
moment où ils peuvent se passer de nous, c'est réussi.
- Gardez vous des contacts après la fin de
l'atelier ?
JS - Non, non, non. Voilà. C'est arrivé, voilà,
par accident, cette taularde dont j'ai parlé, cette taularde de
Toulon, du fait que elle a tellement été prise au jeu, qu'elle
a finit par faire un manuscrit, et qu'elle l'a proposé et qu'elle
va être éditée, donc on s'est revu, dans les espèces
de fêtes du livre régionales, en fait oui, on se revoit mais
ce n'est pas fait exprès, par accident. Sinon, non, je préfère
ne pas revoir, c'est pas la peine, ça n'apporterait plus rien.
- Y a t-il un suivi, une suite de l'atelier ?
JS - Y a le meilleur qui puisse y avoir. A savoir qu'ils ont aimé
écrire, qu'ils ont découvert la richesse de ça et
qu'ils vont chercher les livres. Quand je dis à quelqu'un c'est
terriblement beckettien ce qu'il y a là-dedans, ben, il va lire
Beckett, il savait pas qu'il pouvait le lire, il se marre, il croyait
que c'était intello, que c'était pas pour lui puis il se
retrouve c'est à dire qu'on sait qu'ils n'ont plus besoin de nous.
- Certains ont-ils une pratique de l'écriture
en dehors de l'atelier ? Et Avant et après ?
JS - Ben, je pense pas, non. Enfin, pas en ce qui concerne les expériences
que j'en ai, à part (??) celui qui se croit déjà
avoir un certain talent, un talent incompris, quoi, évidemment,
évidemment, on a à faire qu'à des incompris dans
ces cas là, et bien c'est moins intéressant mais ça
arrive assez peu, heureusement.
- Si oui vous y intéressez vous ?
JS - Ben, c'est pas intéressant. Oui, j'ai essayé de
m'y intéresser parfois à ces espèces d'artistes incompris
qui écrivaient dans les... non, je crois pouvoir dire que ça
n'a aucun intérêt.
- Pour vous, qu'est-ce qui se passe dans l'atelier
qui est spécifique à celui-ci ?
JS - Et bien, ... euh de cette personnalité faite, cette pseudo
personnalité qu'on s'est retrouvé à être par
les autres, et puis par soi aussi, ce qu'on a cru être jusque là,
l'écriture nous fait pas de cadeau, l'écriture nous montre
une autre facette de soi, l'écriture nous emmène à
douter de cette chose qu'on croyait être soi et nous montre une
autre chose qui est douloureuse mais qui est beaucoup plus belle et plus
riche. Ce qui est spécifique à un atelier d'écriture
c'est qu'on se remet complètement eu jeu et en plus qu'on s'aperçoit
que plus on en dit de soi plus on fait résonner, plus on fait entendre
des choses de soi, plus on est apprécié par les autres,
et accepté et aimé. Les gens sont beaucoup plus beaux en
fin d'atelier qu'en début et ils ont beaucoup plus d'audace. C'est
à dire, ça commence par ça, quand, on fait le constat
qu'on ne parle pas, qu'on ne pense pas pareil que la façon officielle.
Au début y a une espèce de honte par rapport à ça,
mais après, d'abord on en devient terriblement conscient de cette
différence, et après on la revendique, on l'assume dans
un premier temps, et après carèment on la revendique, moi,
voilà comment je parle, voilà ce que ça charrie,
voilà ce que je pense, c'est... Voilà ce qui est terriblement
spécifique aux ateliers qui s'est passé à tous les
coups, y a un moment où il se passe ça... aussi au début
on commence à écrire pour un but, on écrit pour dire
que la justice est injuste, bon, on commence par le dire. Encore une fois
je leur dis, amenez moi à le penser, ne dites pas comme ça
la justice est injuste ça ne sert à rien, emmenez moi à
le penser... y a ça, bon, mais y a un but et au fur et à
mesure qu'on avance on fabrique ensemble de l'intelligence, de la solidarité,
de la discussion et même si le but qu'on voulait atteindre n'est
pas atteint, par exemple si on voulait plus de respect de la part des
matons, y a pas beaucoup de chance qu'on obtienne ça, n'empêche
qu'on a fabriqué ensemble en tendant ver ce but, de la solidarité,
de l'intelligence, quelque chose qui ressemble à de l 'amour entre
nous et ça, ça personne ne pourra nous l'enlever. On a créé
un champ de réflexion et ça c'est un territoire sur lequel
personne ne peut rien, ça c'est gagné une fois pour toute.
Voilà ce qui est spécifique entre autre.
- Comment vous présentez vous face aux participants
?
JS - Tout simplement, la plupart n'en ont rien à faire qu'on
est écrivain, qu'on écrive des pièces de théâtre,
ça les touche pas tellement. Moi, par exemple, avec les taulards,
quand je me présente vers eux, je leur dis la vérité,
je suis là pour moi, parce que je suis curieux de vous, je sais
ce que moi je viens chercher, je sais ce que je vais en retirer maintenant
si vous vous en retirez quelque chose c'est votre problème. La
raison pour laquelle vous venez, ça vous regarde, moi, je leur
dis pourquoi je viens et là je leur fais par croire que je suis
bon, à mon âge on ne croit plus tellement qu'on est bon,
je sais que je fais les choses avant tout pour moi, voilà. Je pense
qu'ils s'y retrouvent aussi, je pense, parce qu'ils le disent d'abord
mais ça les regarde. Moi ce qui me regarde c'est que j'ai cette
curiosité là de cette éventualité humaine
qu'ils représentent. C'est une possibilité à laquelle
je m'identifie. J'ai besoin de cette langue, la langue des taulards qui
est immédiatement reconnaissable, avec ce fait aussi que celui
qui sortira de la tôle ne sera pas celui qui sera entré,
y a tout ce chemin..., y passent leur temps à réfléchir
sur eux et ça va assez loin la remise en question de soi, dans
leurs têtes c'est ce qu'ils ressentent toujours, y a une façon
de dire terriblement brève, terriblement succincte et y a ce que
ça dit aussi, qui est chaque individu, et on peut déjà
dire qu'il y a un esprit de la tôle, une façon d'écrire
qui appartient à la tôle, tout ça m'intéresse
énormément, une langue de.. quelque chose d'une tribu, là,
ça ça m'intéresse, les langues de tribu...
- Vous considérez vous comme un(e) animateur(trice)
?
JS - Ben, non. Animateur, non. L'idée que je me fais des animateurs
c'est autre chose.
- Quels rapports entretenez vous avec des animateurs
ou des formateurs non écrivains ?
JS - Très peu, je... non, j'entretiens pas tellement de rapports,
non.
- Est-ce que vous dissocier votre pratique de l'atelier
de votre propre pratique de l'écriture ?
JS - Ah oui ! absolument ! ça n'a rien à voir. Je ne
généralise pas, y a des écrivains, comme mon collègue
François Bon, chez qui ça une interpénétration
assez flagrante, mais en ce qui me concerne, je n'ai pas d'a priori, je
dis oui peut-être, après tout, oui mais je me suis aperçu
que non, je suis suffisamment ou trop même monomaniaque dans ma
propre écriture, que ça pas changé une virgule, je
continue à creuser à mon petit trou dans ce que j'ai commencé
à dire dès mon premier livre. Je crois que ça continue
comme ça. Je suis quelqu'un quand j'anime des ateliers d'écriture,
je suis complètement quelqu'un d'autre au moment où je m'enferme
dans mon cabanon pour écrire mes propres livres, c'est tout à
fait quelque chose d'autre qui écrit à ce moment là...
Oui, si, en y réfléchissant, y a eu un moment où
y a eu, lors d'un atelier en Seine St Denis, tout le boulot avait focalisé
sur l'envie d'aller voler une voiture et puis de foncer vers la mer et
de... ça c'était tellement bien dit, terriblement symptomatique
de ce moment là, que oui, cette voix là, surtout qu c'étaient
des filles qui avaient dit ça, cette voix féminine voulant
piquer une voiture c'est une chose qui rentrait dans le texte de ma dernière
pièce de théâtre, après l'avoir un peu retravaillé
à ma façon, oui là y a eu une petite interpénétration
mais pas plus que ce que je pique là comme expressions sur mes
collègues écrivains ou mes collègues forains surtout,
ou mais je pique partout, donc évidement, il a pu arriver, que
je pique 1 ou 2 expressions dans les ateliers, c'est vrai, ça peut
arriver mais dès que ça peut immédiatement rejoindre
mon univers initial, voilà, ça m'a pas fait des vies, quoi.
- La pratique de l'atelier influence t-elle votre
écriture ?
JS- Ben, justement très très très peu, voilà.
C'est plutôt des amies filles, que je rencontre qui me prennent
pour confident, c'est pas très enviable comme situation d'être
confident des filles, mais, ça ça influence, parce que je
pique des phrases, ah bon, elles parlent donc comme ça les filles
? Je sais comment elles parlent, je sais pas pourquoi, personne sait pourquoi
mais je peux me servir des tournure de phrases et de ce que ça
charrie avec mais la pratique d'atelier, non, on peut dire que non, ça
n'influence pas
- Pourriez vous vous passer des ateliers ?
JS - De quelle façon ? Financièrement, oui. Humainement
oui, oui. Suffit que moi j'ai besoin de rencontrer d'autres gens, de parler.
Si je fais beaucoup de colloques, ça arrive, où si je fais
beaucoup de répétitions de pièce comme ça
m'arrive en ce moment, je peux tout à fait me passer d'atelier.
Oui, je peux, j'aime bien les faire, mais je peux m'en passer, quand même.
- Connaissez vous d'autres écrivains qui animent
des ateliers, et si oui quels rapports entretenez vous avec eux ?
JS - Je connais surtout François Bon, je connais Hervé
Piekarski, je connais Nelly Solinas, oui j'en connais. Les rapports qu'on
a, on parle beaucoup, c'est à dire, on s'échange des trucs,
moi, j'ai donné plein de trucs, ma méthode qui était
complètement axée sur ce qui, moi m'a déclenché
l'envie d'écrire et m'a permis moi d'aller plus loin, je donne
en pâture aux autres, j'essaye mes méthodes sur les autres
et elles marchent, alors je peux le dire à François Bon,
"essaye ça, ça marche à tous les coups"
et lui il me donne des tuyaux puis en plus il me donne des adresses, il
me dit "tiens j'arrête Seine St Denis, question de temps mais
vas y, fais le, parce que y a quelque chose pour toi là bas dedans".
On s'échange comme ça des endroits et des méthodes.
On parle aussi beaucoup du droit moral, est-ce qu'on a le droit de lire
ces textes en dehors de leurs présences. On discute énormément,
énormément de ça, on est pas du même avis là
dessus, notamment avec François, ou avec beaucoup d'autres mais
chacun a des arguments, on écoute les arguments des autres, oui
on discute beaucoup de ça.
- Eprouvez vous le besoin de théoriser votre
pratique de l'atelier ?
JS - Oui, oui, oui ! J'éprouve énormément ce
besoin mais j'attends encore un peu étant donné que mon
avis évolue toujours, toujours. L'année dernière,
j'aurais pas dit la même chose, par exemple, sur ce qui est de la
nécessité d'aborder soit la fiction, soit l'autobiographie,
soit comme ça, mon idée a évolué là
dessus en constatant que ça revient au même, qu'on échappe
pas à soit, de toute façon, quelque soit le biais qu'on
prend, c'est une utopie, quand on croit parler de soi, on invente énormément,
on se fait beaucoup d'illusions là dessus. Moi ça me choque
pas, c'est à dire moi j'ai rien gardé, j'ai rien emporté
dans la tombe avec moi, ça me fait marrer quand quelqu'un croit
devoir garder son petit secret. On a tous les mêmes de secrets.
C'est 5 à 6 gros trucs, tous interchangeables, on pourrait s'échanger...
y a pas énormément de grands secrets, c'est assez risible
tout ça, pauvres bestioles, avec nos petits secrets, non faut pas
exagérer tout ça. Donc voilà, comme mon avis là
dessus ne cesse pas d'évoluer, j'ai le temps encore de théoriser
tout ça.
- En dehors des ateliers que vous menez, vous intéressez
vous à la question des ateliers ?
JS - Mais bien sûr, énormément, on n'arrête
pas de s'écrire avec des collègues là dessus, qu'est-ce
doit être un atelier ? Qu'est-ce qu'il peut apporter ? Moi je suis
très réticent, par rapport à tous les ateliers qui
fleurissent dans la région du Var notamment où j'habite,
qui sont fait par des animateurs qui ont pas tellement une approche de
la langue de l'intérieur mais c'est scandaleux, c'est n'importe
quoi ! C'est de la garderie de 3ème âge, la colonie vacances,
ça ou des mots croisés c'est... non, c'est aberant.
- Qu'est ce que représente cette pratique ?
JS - ça dépend pour qui, je sais pas, pour celui qui
vient pratiquer ça représente une deuxième chance,
on n'est plus le même après avoir pratiqué l'écriture
qu'avant, et pour moi, quand j'ai fait un très bon atelier, je
sais que je rentre chez moi, avec un espèce de sentiment de devoir
accompli, c'est vrai. Sinon, rester chez soi à écrire ses
petits trucs, bon, on du mal à penser que c'est vraiment utile,
on a vraiment du mal. Quand on a fait un atelier on a le droit de s'intéresser
un peu plus à soi.
- Quelles ont été au départ vos
motivations pour mener des ateliers ?
JS - Moi, avant tout, ma motivation principale pour tout, c'est la
curiosité, bien sûr on peut trouver d'autres bons côtés,
le côté altruiste, ils ont pas eu de chance, faut les aider,
bien sûr y a peut-être une part mais enfin à mon âge,
on croit plus tellement à l'altruisme, on fait les choses avant
tout pour soi et puis bon aider les autres c'est surtout s'aider soi,
ça on le sait. Pleurer sur les autres, c'est pleurer sur soi. Il
faut pas penser longtemps pour tomber là-dedans.
- et maintenant ?
JS - Elles sont de plus en plus saines, au début y a des tas
de raisons et on arrive pas à trier là dedans quelle est
la vraie, et plus ça va plus on dit ça se ramène
à une seule chose, c'est la curiosité de cette langue, de
vérifier des choses aussi. Bien sûr, que je me doutais bien
que dans les cités, les jeunes ne sont pas aussi irréconciliables
que veut bien le croire Bilalien, le soir à 20h, qu'il y avait
là dedans une utopie, un idéal et que y avait toute une
mentalité que je voulais vérifier, qui existait dans les
quartiers quand j'étais enfant, dans ce quartier là, y avait
une mentalité qui charriait un langage, ben, je retrouve ça
en Seine St Denis, les mêmes tiques verbaux, par exemple ne pas
finir ses phrases, ne pas dire ce qui va sans dire. C'était présent
dans les quartiers de mon enfance, c'est encore présent en Seine
St Denis, c'est présent avec les taulards à Nice, donc ça
j'aime bien aller le vérifier sur place, ça m'intéresse
beaucoup.
- Vous considérez vous comme un écrivain
engagé ? Si oui dans quelle mesure ?
JS - Engagé ? ben, je sais pas. C'est à dire dans le sens
usuel, engagé non, étant donné que j'ai pas de, j'ai
pas d'à priori à défendre, alors je suis engagé
dans mon travail, oui, mais j'ai pas de..., engagé c'est avoir
une idée au départ très sociale de..., non, je suis,...
y a une idée politique là dedans, alors bien sûr que
ça rejoint la politique, quand on veut faire entendre des voix
qui ont été exclues, y a un côté politique
mais c'est pas exprès, voilà, on fait pas ça pour
illustrer une idée préexistante. Je crois que on arrive,
on est toujours surpris. Je viens d'apprendre, par exemple, que les taulards
demandaient généralement le divorce à partir de l'intérieur
de leur tôle, je croyais que c'était leurs femmes qui au
bout d'un moment ne les attendaient plus, ben, je viens d'apprendre que
statistiquement ce sont les taulards qui demandent le divorce, au bout
d'un moment. Ils veulent plus reprendre là où ils avaient
laissé, ils commencent par ne plus aller au parloir et ils finissent
par ne plus vouloir assumer cette chose qui les attend dehors, qui dépend
plus d'eux. Alors voilà, j'apprends tout le temps, je suis quelqu'un
qui apprend tout le temps, c'est pas être engagé, on est
encore dans l'écoute... Alors...
- Si non, pourquoi ?
JS - Ben, justement parce que je suis encore en réflexion,
je suis encore en train d'apprendre. Je suis engagé bien sûr,
il m'intéresse pas le discours officiel alors je vais chercher
autre chose, c'est une espèce d'engagement mais disons quand dans
un atelier, comme ça arrive souvent, y a la femme du kiné
qui vient là parce qu'elle a besoin de s'exprimer elle est aussi
à plaindre, avec ses soirées ou personne ne l'écoute,
puisqu'elle vient s'exprimer sur des feuilles dans les ateliers, j'écoute
l'ennui du riche avec la même compassion que l'ennui du gueux et
du défavorisé, parce que quand on voit l'ennui du riche
et bien franchement, c'est terriblement pitoyable aussi. Mon engagement
il est pour tous les ennuis, et tous les exclus, et toutes ces misères
mais c'est pas exprès, ça se fait au coup par coup, y a
pas de théorie au départ.
- Qu'est-ce qu'un écrivain engagé pour
vous ?
JS - Ben pour moi, je sais pas... normalement quelqu'un d'engagé
c'est quelque qu'un qui a une idée au départ et qui se bat
pour faire, au nom d'une idée, d'un idéal, et donc dans
ce cas là, je suis pas engagé, je fais pas dans le social.
Je suis pas là pour rétablir le lien social, non ! Bien
sûr, que peut-être par accident, c'est une des choses, ...
ça fera un des résultats de mon travail, sans doute, mais
c'est pas essentiellement pour ça que je le fais. C'est quelque
chose de beaucoup plus existentiel, de beaucoup plus d'individuel, je
crois. Quand on est en groupe et qu'on commence à se montrer les
uns aux autres, tout le monde s'y retrouve là, c'est, y a cet espèce
d'engagement, on peut le prendre dans tous les sens, engagé alors
j'ai du mal, moi, je me dois comme disait Rimbaud, je me dois, et je veux
faire entendre ou rappeler aux autres qu'ils se doivent, que tout le monde
se doit comme un rien à garder.
- Quelle est votre définition de l'écrivain
?
JS - C'est quelqu'un qui se remet en jeu, à chaque fois, et
qu'il laisse l'écriture être ce qu'elle doit être,
et nous emmener où elle veut, l'écrivain c'est celui qui
ne sait pas écrire le prochain livre, c'est quelqu'un qui à
chaque fois se laisse remettre en danger par l'écriture. C'est
quelqu'un qui sait faire ses trucs pour se remettre dans l'état
de l'écriture et qui laissera l'écriture l'emmener. C'est
quelqu'un qui se met pas à écrire, pour enfin dire des choses
qu'il a sur le coeur, non, on ne sait pas vraiment ce qu'on a sur le coeur,
on croit savoir. C'est quelqu'un qui laisse aller l'écriture là
où elle doit aller. C'est un travail quotidien, c'est un travail
sans cesse et sans cesse renouvelé. C'est quelqu'un qui a à
faire à l'écriture. L'écrivain c'est quelqu'un qui
en fait, ne sait pas écrire, à chaque fois qu'il s'y remet.
Il a su faire un livre mais il sait pas s'il en fera un autre. Si y sait
c'est déjà autre chose, c'est déjà plus un
écrivain s'y y croit savoir.
- Depuis que vous menez des ateliers, rencontrez vous
des difficultés nouvelles à être édité(e)
?
JS - Non, non, ni plus ni moins, non, ça n'a rien à
voir, c'est complètement autre chose. Avant je gagnais ma vie sur
les marchés, après je l'ai gagné parce que j'étais
auteur associé au TNS, je suis encore auteur associé au
TNS, depuis que j'écris du théâtre surtout, non, non,
je gagne aussi de l'argent parfois par la DRAC, en faisant des ateliers,
bien que souvent on travaille à perte, faut pas croire, que c'est
un marché juteux comme disent certains qui ne pratiquent pas, non,
c'est pas pour ça. Si on le faisait pour l'argent, on ferait autre
chose, beaucoup d'autres choses sont beaucoup plus rentables que les ateliers
d'écriture, à priori n'importe quoi d'autre, alors c'est...,
ça n'a rien à voir. J'édite aussi facilement ou pas
plus difficilement depuis les ateliers, c'est tout à fait autre
chose. |