Longwy / gens dans la ville
un atelier d'écriture avec Jacques-François Piquet, Alicia Devaux, Emmanuelle Laur et Anne-Françoise Dorbec avec 34 élèves de Longwy

Nous avions déjà accueilli sur remue.net les travaux menés dans sa classe par Anne-Françoise Dorbec au lycée Mézières de Longwy, avec Jacques-François Piquet (voir son site). "Gens dans la ville" est un ensemble de grande cohérence. Ceux que les questions liées à l'écriture créative dans l'enseignement passionnent ne seront pas surpris qu'on puisse aller si loin... Mais c'est toujours une vraie curiosité entre nous d'aller regarder comment les amis s'y prennent! Et moi, ce qui m'attrape toujours, c'est comment tout un monde apparaît saisi à vif, où la peine et l'utopie montrent toujours quelque part leur visage. Merci à Anne-Françoise, à Jacques-François Piquet, Alicia Devaux et Emmanuelle Laur de nous en permettre le partage... FB

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PDF (1,8 Mo) - inclut présentation de J-F P. et photos

renseignements, contact ou pour toute utilisation: écrire à Anne-Françoise Dorbec

Je choisis arbitrairement, dans le document proposé au téléchargement ci-dessus, cet hommage au Koltès de "La nuit juste avant les forêts", une proposition d'écriture de Jacques-François Piquet qui diffère beaucoup de mon propre usage de ce texte-source, et le ramène plus près du "tu" d'Apollinaire au début d'Alcools... Mais comme tous ceux qui ont travaillé en stage avec moi ont manipulé la même page si riche de Koltès... FB

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"Tu tournais le coin de la rue..."
un bref extrait de l'atelier

 

Tu tournais le coin de la rue lorsque je t'ai vu,
je voulais te les dire, au moins une fois, une seule fois,
ces quelques mots.
J'avais peut être peur, mais de quoi ?
Je m'en veux, je regrette.
Tu es souvent venu vers moi,
je ne voyais rien
je t'ai repoussé sans réfléchir, j'ai fui.
Je voulais te les dire, au moins une fois, une seule fois.
J'ai eu tant d'occasions,
que je n’ai pas saisies
Je n'ai jamais trouvé les mots :
Ceux qui nous auraient réunis.
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t'ai vu,
je voulais te les dire, au moins une fois, un seule fois,
si j'avais su trouver le courage,
si je t'avais dit ces quelques mots.
J'aurais voulu que TOI et MOI soient NOUS.
Tout aurait changé pour moi
ma vie n'aurait pas été la même,
La vie banale que tout le monde a.
Pourquoi, pourquoi je n'ai pas trouvé ce courage ?
Pourquoi je ne suis pas allée vers toi ?
Pourquoi je ne te voyais pas ?
Pourquoi NOUS est resté TOI et MOI ?
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t'ai vu,
je voulais te les dire, au moins une fois, une seule fois,
ces quelques mots.
J'avais peut être peur, mais de quoi ?
Aujourd'hui tu ne sais rien
j'ai tout gardé pour moi,
je regrette.
*
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu. J’aurais aimé te dire ces quelques mots très simples : « tu me manques ». Lorsqu’on se voit, c’est en coup de vent. Oui, c’est ça que je veux te dire.

Tu me manques depuis qu’on se connaît, je sais, c’est difficile à croire : cette femme qui t’aime et veut te garder pour elle.

J’aimerais te dire que ton absence me pèse chaque soir lorsque je m’endors. Peut-être en es-tu conscient, je l’aimerais.
Les courts moments où je te vois, je n’ai plus rien à te dire, je ne sais plus quoi te dire.
J’aimerais que tu saches mon amour, mais c’est trop difficile. Et toi, de tout ton cœur, dis-moi que tu m’aimes, car je crois que j’ai oublié, en fait je crois que tu ne me l’as jamais dit. Ma peine est si grande, est-ce que tu la devineras ?
J’aurais aimé te dire que tu me manques quand je t’ai vu tourner le coin de la rue, mais je n’ai rien dit et je te vois disparaître.
*
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu. J’aurais voulu te reparler de ces dix années de silence, d’abandon. J’aurais aimé que tu saches ce que je pensais de toi.
Sans doute n’en aurais-je pas eu le courage, mais un jour il faudra bien ; je ne peux plus, je ne veux plus souffrir comme ça.
Quand tu es parti, j’ai eu le sentiment d’avoir été trahie. Tu laissais derrière toi un petit garçon de 4 ans, une fillette de 8 ans et une mère démunie.
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu, j’aurais aimé que tu saches ce que je ressens, ce que je peux bien penser de toi, de ton attitude. Tu disais être un père, mais moi aujourd’hui je te dis le contraire.
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu et là mille et un souvenirs ont refait surface et je n’ai aucun remords à te dire qu’aujourd’hui, même si la page est tournée, jamais je ne te pardonnerai.
*
Tu tournais au coin de la rue lorsque je t’ai vu. J’aurais aimé te dire que tu me ressemblais. Je sais pas vraiment pourquoi tout ça, mais à mes yeux, c’était flagrant : tu es calme, et ne sors pas un mot face à des personnes inconnues, on dirait même que tu es timide, oui, c’est le mot : timide, tu ne fais pas le premier pas, comme moi, d’ailleurs, la preuve, c’est qu’on est tous les deux incapables de discuter, comme là, maintenant.
Je te connais depuis quelques mois à peine et j’ai dû te parler très rarement, mais c’est bizarre, il me semble te connaître depuis des années, ce qui n’est pas le cas et ce qui est dommage !
En plus d’un caractère semblable au mien, ton visage semble être un calque du mien.
On me demande souvent si tu es « des miens », ce à quoi je réponds « bien sûr que non ! » avec un petit rire bête pour accompagner mon propos, et pourtant, Dieu sait que j’aimerais bien, que je n’en pense pas un mot.
Tu tournais au coin de la rue lorsque je t’ai aperçu. J’aurais aimé te dire que, quelque part, tu es une partie de moi même. Enfin, j’aurais aimé te demander : « mais qui es tu ? ».
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu. J’aurais aimé te dire que tu n’avais pas le droit de partir, de me laisser sur cette terre… J’aurais voulu te dire tout ce que je pensais de toi, ce que je n’ai jamais fait. C’est en te voyant que j’ai regretté de ne pas être venue plus souvent. Si j’avais su que tu partirais si tôt, je ne t’aurais jamais lâché, je serais restée près de toi. Peut-être alors que ce jour-là, si j’avais été avec toi, tout ça ne serait pas arrivé… Tu serais encore là aujourd’hui.

Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu. J’aurais aimé te raconter les quatre ans de ma vie que tu as ratés. J’aurais aimé que tu voies ce que je suis devenue sans toi. J’aurais voulu que tu rencontres mon copain, celui qui, maintenant, a pris ta place dans mon cœur. Enfin, bien sûr, tu resteras toujours l’homme de ma vie, celui grâce à qui je suis ici… Mais le fait que tu ne sois plus là…
Tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu. Ma première pensée fut de t’appeler, puis de courir et de te serrer dans mes bras… Mais très vite ton image s’est envolée, comme toi il y a quatre ans…