ateliers
d'écriture : l'écriture d'invention et l'enseignement |
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Bruno
Tackels, dramaturge et essayiste, enseigne au département Arts
du Spectacle de l'Université Rennes 2
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Même en périodes de vacances (ou peut-être grâce à elles), je me sens concerné par les affaires scolaires surtout quand elles font débat, comme ici, sur la question des "inventions décritures" dans lenseignement du français. Je tiens à dire, dabord, que ce sont les mots de Jean-Marie Barnaud qui mont touché, et donné la force, lexigence décrire, en ce jour Pascal, sur ces questions scolaires. Voilà déjà une manière de dire quelque chose, comme préambule au débat proposé par François Bon. Oui, les mots vont vivre, donnent envie de vivre, oui les mots sont notre medium, vecteur, levier, mode dadresse pour dire, propager, faire voir et entendre, et comprendre. Ces mots là, nous devons les protéger, les aimer, empêcher quun catafalque vienne les paralyser en discours paresseux. Oui, quelle que soit la discipline enseignée, pour nous, enseignants, la force vient de la langue. Il importe donc de la garde vive, et den faire autre chose quun pure outil communiquant. Il importe que nous aimions les mots, et que nous inventions, par eux, avec eux, les modalités de transmission des savoirs. Inventer les modalités pour la transmission des savoirs. Voilà dune formule condensée lidée qui manime, et me "tient debout" depuis onze ans que jenseigne. Le débat ne peut être dans lopposition binaire jouant linvention contre la compréhension, lécriture contre la critique, lenseignant contre écrivain, la rigueur scientifique contre le spontanéisme de la poésie. Ces schémas sont moribonds, et personne na raison, sil pense devoir défendre lune ou lautre de ces forteresses. Car, comme leur nom lindique, elles appellent un enfermement, les forteresses. Lenseignement nest pas (ou ne doit plus) se vivre comme un lieu denfermement (pas plus quil ne peut se contenter dune revendication du tout est permis, possible, pensable). Ces schémas, décidément, ne sont plus possibles, ni pensables. Ils ne devraient plus être permis Il est temps de poser de nouvelles bases, de nouvelles rencontres, à commencer par les lieux de formation des formateurs, globalement entièrement prisonniers de cette logique denfermement : il faut donner aux futurs enseignants le désir de faire passer leur savoir en lien avec les écrivains. Car au fond les uns comme les autres défendent la même vie les uns linventent, les autres la transmettre. La seule différence tient dans les délais démission. La transmission se fait en général avec retard par rapport à linvention. Comme sil fallait une génération pour être vraiment bien sûr que cette écriture est digne de senseigner. Exemple : aujourdhui, un enseignant de collège, de lycée ou duniversité peut tenter dintégrer loeuvre de Valère Novarina dans ses cours. Cest périlleux, incertain, difficile mais cest globalement possible. Joris Lacoste quant à lui, de vingt ans son cadet, nest pas "enseignable" nest pas aujourdhui enseignable dans léducation nationale. On pourrait multiplier les exemples à linfini. A chaque fois la même logique : comment sassurer quun corps vivant donnant lieu à de la vie va pouvoir sintégrer au corps (mort) de la littérature à transmettre ? Là réside la vraie question, dans toutes ses cruautés. Mais elle ne se tranchera certainement pas en demandant aux enseignants de savoir aujourdhui qui seront les panthéonisés de demain. Voilà encore un schéma dhier. Il est beaucoup plus juste de prendre les choses à lenvers : parmi tous ceux qui écrivent, beaucoup (beaucoup plus que prévu) souhaitent confronter leur pratique décrivain avec des classes, en partenariat et en dialogue constant avec les enseignants permanents (sur le mode de ce qui se passe pour les classes avec mention théâtre). Ces confrontations, si elles se passent vraiment (cest-à-dire en vérité, à laune de vérité dune réelle exigence de lart, et de celui qui le porte), ces confrontations entre lart et lécole ne déforcent en réalité personne. Bien au contraire. Elles montrent clairement aux élèves lexigence de lécriture (sans leur faire croire quils sont des génies ou quils ont forcément du talent). Quant aux artistes et écrivains, on constate quils y apprennent beaucoup, eux aussi. Et quils aiment venir en ces lieux pour y découvrir deux-mêmes, au-delà du don quils y font. La question de la "note" na du coup plus vraiment de sens. Le travail décriture posé par chaque élève (et surtout pas de façon optionnelle) devient lune des strates du travail conduit dans le cours de français. Strate qui peut (qui doit) donner lieu à un avis, un regard, une impression de lécrivain-pédagogue mais qui ne peut se ramener à la note dévaluation traditionnelle. Autrement dit, il me semble que ce type dacte doit nécessairement être doublé dune autre activité pédagogique (conduite par lenseignant-titulaire), fondée sur des méthodes et structures plus repérées, mais en lien avec cette expérience dinvention par lécriture. Les deux champs doivent pouvoir dialoguer, et très naturellement. Avec un bémol, évidemment cruel : il faut que la rencontre ait lieu, et bien lieu entre lenseignant et l écrivain. Sinon, lécriture et le savoir continueront leur divorce interminable. Voilà donc quelques remarques, à chaud, suite à ma lecture de ces premiers linéaments de débat sur une question brûlante. Une question que je ne connais pas très bien dans les lycées, mais que je fréquente assidûment depuis six ans dans luniversité (où les questions se posent en fait de manière très proche). Il est évident que ces débats sont urgents et précieux, car il y va de la sur-vie de la littérature, et du désir quelle suscite, et des forces quelle donne. Quelle que soit le niveau dans les eaux du savoir, on comprend mieux les choses quand on a touché du doigt, même dun doigt petit. Oui le savoir, avec ses pleins et ses formes entières, a sans doute besoin du vide, et de ses vacances improbables école et vacance, lart avec le savoir, et non plus contre. Cette intuition simple est en train de faire son chemin . A nous dinventer les étapes suivantes. Sortir de lentre-deux inconfortable (le cul entre deux chaises dont parlait Jean-Marie Barnaud) pour assumer de passer le gué, ensemble. |