Oô, mythe et paysage [1]

Au musée des Augustins de Toulouse, parmi de nombreuses sculptures d’origine gallo-romaine, on peut voir un étonnant bas-relief, représentant une femme entièrement nue, très primitive d’allure, la face inexpressive, les bras très courts, à peine dégagés du tronc. Au bas de son ventre, elle porte une vulve puissante fortement relevée, de l’ouverture de laquelle s’élève un serpent. Le reptile dont la sinuosité a été fort bien rendue par le sculpteur reste engagé par sa partie inférieure dans le sexe de la femme, mais la partie visible de son corps semble ramper comme une liane le long du ventre et de la poitrine ; II a la tête fixée sur le mamelon d’un sein bien développé. II s’y tient accroché en animal téteur, lascif et goulu.
Une brève notice nous apprend que cette pierre provient du site d’Oô, dans la Haute-Garonne. Elle a été traditionnellement et chrétiennement interprétée comme une figuration de la luxure, sur le modèle d’Ève, mère du vice et du péché. Le symbole reviendrait à dire que le mal, incarné par le serpent démoniaque, est enfanté par la femme et se nourrit des charmes de la femme - donc, attention, chrétien ! ... Une autre interprétation plus moderne voit dans cette figure la représentation d’un personnage mythique, antérieur au christianisme : un symbole de fécondité, plus exactement de l’éternelle fécondité de la nature féminine. Le serpent, issu de la femme et nourri par elle, exprimerait le caractère cyclique du temps, en relation avec les pratiques agricoles.
Le site d’Oô est un lieu remarquable par son petit lac de montagne alimenté par une superbe cascade, un gave, plus précisément. II laisse, à travers les photographies que j’ai vues, une impression de mystère, d’intériorité, de recueillement, qui porte à la rêverie. J’ai pensé que la sculpture du musée représentait la déesse du lac. Et j’ai imaginé son histoire, celle d’une naissance virginale et fabuleuse. Il m’a semblé que le serpent incarnait la dimension phallique, inconsciente, de la femme, et que l’on se trouvait donc en face, ici, d’une représentation de la perfection androgyne en même temps que de la fécondité et de l’éternité. J’ai donné au personnage du bas-relief le nom de son lieu d’origine. C’est la jeune fille Oô, amoureuse d’elle-même et fécondée par son âme noire et animale.

© Claude LOUIS-COMBET
22 mai 2005
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[1Oô a été publié à Bordeaux par les éditions Shushumna.

Les éditions Shushumna, nom sanscrit donné au canal de l’énergie créatrice, au courant vital qui relie le visible à l’invisible, le conscient à l’inconscient, ont été fondées par Bérénice Constans.

L’artiste bordelaise a illustré récemment Terpsichore, Du sang dans les yeux et Iris de Claude Louis-Combet.
Catherine Pomparat a dit la beauté de son travail en cours, Entre la chair & la peau.