Atelier d’écriture au lycée Georges Braque :
séance 3

L’impro, par Sylvie Gracia

En septembre, Chantal et moi avions été écouter une lecture de Daniel Maximin qui depuis longtemps présente sur scène ses textes, avec un accompagnement au piano de Alain Jean-Marie. On avait été séduites par ces passages évident entre poésie et jazz, et l’un des poèmes, Lettre suit, nous avait particulièrement intéressées. A partir d’un nombre réduit de substantifs et de verbes, et d’une construction grammaticale fixe, Maximin déploie les différentes possibilités combinatoires des mots et donc des sens, le premier vers contenant tous les possibles "C’est un acte d’amour que d’écrire àquelqu’un qui refuse de vous lire de peur de vous aimer". Cette façon de déployer un poème àpartir d’une forme et d’un nombre de mots réduits nous semblait particulièrement intéressante : bien qu’il ne s’agisse pas d’une improvisation (le poème est publié dans L’invention des désirades, chez Présence africaine), l’analogie avec la musique de jazz est évidente : un thème de bases (parfois quelques notes), que l’on fait varier, que l’on combine, que l’on reprend, en jouant sur les rythmes et les silences.

écrire un rythme et des silences sans musique : les écouteurs pendent au cou de Jérôme

Daniel Maximim est un écrivain originaire de Guadeloupe, qui a découvert enfant le jazz dans son île, et cette musique a été pour lui source d’inspiration directe (il a écrit par exemple sur des figures de musiciens et de chanteurs). Le jazz comme musique d’esclave, musique de modernité et de libération, tissage des cultures, dépassement de la "partition du maître".

Pour cette troisième séance, comme la classe vient de commencer le travail chorégraphique, il nous semble intéressant de montrer aux élèves comment musique, danse, écriture peuvent avoir des ressemblances dans leur mode de création. Dans la danse aussi, on peut décider d’un nombre de mouvements de base, les combiner, les enchaîner, les répéter. On leur propose donc, àpartir du poème de Daniel Maximin, de travailler àpartir d’un nombre réduit de mots (7, chiffre premier, très présent dans toutes les cultures, pensons seulement aux sept jours de la semaine), d’une forme de construction, et de voir combien ils peuvent àpartir de cela pousser encore plus le thème, jouer sur les mots, les rythmes, les combinaisons, les contradictions...

Quelques extraits des textes écrits :

On peut écrire dans la classe ou dans le couloir.

C’est une douleur abominable que de rire pour une fille qui vous entraîne dans son embarcation
Rire pour une fille dans son embarcation est une douleur abominable qui vous entraîne
Dans une embarcation, rire est une douleur abominable quand une fille vous entraîne
Quand une file vous entraîne dans son embarcation c’est une douleur abominable
Rire quand une fille vous entraîne dans son embarcation est abominable
Une fille rit et c’est une embarcation abominable
Quand on rit, une fille vous entraîne dans son embarcation abominable
Rire est une douleur abominable

C’est une manière de dire que d’écrire àquelqu’un les sentiments qu’on éprouve et qu’on veut lui exprimer.
Ecrire est une manière d’exprimer les sentiments qu’on éprouve pour quelqu’un.
C’est exprimer ses sentiments que de les prouver àquelqu’un en lui disant par écrit.
Dire, c’est écrire les sentiments qu’on éprouve et qu’on voudrait exprimer.
Ecrire est une manière de dire àquelqu’un les sentiments qu’on éprouve et qu’on voudrait lui exprimer.
C’est une manière de dire que d’écrire.

C’est un geste d’hypocrisie que d’abandonner un être impatient de vous toucher, de vous connaître pour vous aimer.

C’est un geste d’hypocrisie que d’abandonner un être voulant vous toucher.

C’est un geste d’hypocrisie que d’abandonner un être voulant vous connaître pour vous aimer.

C’est un geste d’hypocrisie que de mettre fin aux envies d’un être mal aimé.

C’est un geste d’hypocrisie que de donner naissance àun être, pour l’empêcher de vous toucher, vous connaître pour vous aimer.

C’est un geste d’hypocrisie.

C’est un plaisir que d’aimer quelqu’un qui est joyeux et qui s’ouvre au monde en chantant.
C’est un plaisir que d’aimer quelqu’un qui chante.
C’est un plaisir que d’aimer quelqu’un qui chante au monde en s’ouvrant joyeusement.
C’est un plaisir que quelqu’un s’ouvre au monde.
C’est joyeux que quelqu’un aime s’ouvrir au monde en chantant avec plaisir.
C’est un plaisir que de chanter avec amour pour quelqu’un.
C’est joyeux de chanter avec plaisir.
C’est un plaisir que de s’ouvrir au monde.
C’est un désir que d’aimer.

Le ciel de notre monde est commun àtous et fait naître les meilleurs rêves.
Les meilleurs mondes sont dans le ciel.
Le ciel a fait naître le monde.
Le monde est commun àtous.
Les rêves sont communs àtous.
Notre ciel forme avec nos rêves un monde commun.
Le rêve est commun ànotre monde.
Le rêve du ciel fait naître le meilleur des mondes.
Le commun du monde c’est le ciel.
Tout rêve du monde.
Le monde rêve de tous.
Tous rêvent du ciel.
Le ciel rêve du meilleur.
Et le meilleur nous fait tous rêver.
C’est ainsi que les meilleurs mondes de notre ciel font naître les rêves qui nous sont communs àtous.

C’est la peur d’affronter les sentiments de quelqu’un qui tous les jours vous raconte sa vie en France
C’est un sentiment de peur d’affronter ou de raconter sa vie en France tous les jours
C’est un jour sans peur àaffronter
C’est en France que sa vie est racontée avec ces sentiments au fil des jours
C’est raconter que la peur est un sentiment àaffronter durant la vie de tous les jours
C’est vous affronter avec la peur de ma vie
C’est ma vie en France racontée avec le sentiment de peur d’affronter le jour
Raconter sa vie, affronter la peur, c’est avoir peur de raconter ses sentiments
C’est affronter une peur, c’est vivre un sentiment
Vivre c’est affronter ses sentiments
Vivre c’est raconter ses peurs

lire l’ensemble des textes de cette séance

2 février 2005
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