Paul Rebeyrolle, L’œuvre de chair

A travers un livre dense et tonique, Lionel Bourg célèbre l’oeuvre de Rebeyrolle.


Paul Rebeyrolle a souvent parlé de son premier contact avec ce qu’il nommait « un vrai tableau ». Celui-ci eut lieu à l’improviste, en 1944, boulevard Raspail, où il fut attiré, passant devant la devanture d’un marchand de tableaux, par un Rouault exposé en vitrine... D’autres rencontres, lui permettant de voir « la grande peinture lui arriver en plein dessus, d’un coup », vont ensuite se succéder en accéléré. Il y aura, outre Soutine et sa force brute, la découverte, dans le désordre, de chocs nommés Rubens, Delacroix, Courbet, Rembrandt...
De ces secousses, Rebeyrolle aime à en ramasser les éclats. Il les loge dans son corps. Les frotte à sa propre histoire, à son présent, à ses paysages familiers - en particulier à ceux d’Eymoutiers (en haute-Vienne) où il est né en 1926 - qui ne cessent de le nourrir. C’est ce cheminement - ouvrant sur la secrète alchimie qui en est sortie, faite d’énergie, de révolte, de hargne et de violence - que Lionel Bourg interroge et restitue avec fougue dans L’œuvre de chair (éd. Urdla).

« On ne se délecte pas de la peinture de Paul Rebeyrolle. Récusant toute posture, tout voyeurisme, toute contemplation sereine ou détachée des tableaux dont elle s’affranchit afin de plus énergiquement les investir, son impétuosité ruine les prétentions du spectateur. C’est que la regarder ne suffit pas. Qu’elle exige davantage. Plonge quiconque s’y confronte au sein de ses turbulences. »

Il suit cet homme dont l’œuvre « s’insurge, s’enivre et jouit, s’arc-boute, dénonce » avec entrain et connivence. Ses phrases pivotantes s’intègrent aisément à « cet univers d’étreintes et de clameurs, de cris, d’œdèmes ou de tripailles jetées sur la toile » par Rebeyrolle durant plus de cinquante ans.

Bourg, très présent en ce printemps (avec, par ailleurs, L’ombre lente du temps), s’affirme par bien des côtés proche de celui qu’il salue ici. Il y a dans sa façon d’écrire, dans son appétit de vivre, dans sa soif d’en découdre et de se colleter le présent sans que le moindre compromis ne soit de mise, des affinités qui ne trompent pas... Il faut du souffle et de la puissance (il en a) pour suivre le peintre de série en série, de Guérilleros en Prisonniers en passant par Faillite de la science bourgeoise - dont Chien pissant sur son matricule reproduit ci-dessus en logo est extrait - tout en le décrivant au travail, en sueur près de ses Sangliers, de ses Nus, de ses Paysages, aux prises avec cette vitalité sauvage et primitive qui l’aura portée toute sa vie.

Rebeyrolle est mort dans son atelier en février 2005. Ce livre est plus qu’un hommage. C’est une incitation à aller voir l’un des artistes majeurs - sans doute l’un des plus solitaires - de la seconde moitié du vingtième siècle de plus près. Pour ce faire, la visite à l’espace permanent qui lui est consacré à Eymoutiers - au bord du ruisseau Planchemouton où ses cendres ont été dispersées - est, réellement, inévitable.


A relire, sur "remue.net", Rebeyrolle,le texte donné par Michel Séonnet lors de la disparition du peintre.

11 avril 2006
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