Rodrigue Lavallé | Perdu la ville
Avons perdu la ville
marche en seize moitiés
quartiers amers
découpe tant
de points morts
pierres noires
Temps de poussières
personne de dos se souvient
*
Ton poids dans l’herbe
au bord du canal
Entre les murs
la chambre
des bouts de peau collés à la place
quand
de retour il fait noir
*
Il pleut sur ordonnance
il y a tout dans un souvenir il n’y a rien
l’été s’ouvre et teint les plates-bandes
cahier jazz barreaux
sexe bandé bras nus
tiennent dans un seul mot
*
Tu tires le jour durant poumons remplis
je ne me rappelle pas
ta voix
retourne dans la fatigue
dans les draps dans ta langue
de dos
Détournes le temps frappes poitrine de rage
C’est elle
ce tableau
*
Moiminotaure au pied du lit
Notre gorge sommeille
tristes chaînes derrière les paravents feuillus
ce n’est rien n’était rien
les fruits sombrent au sol
et leurs lèvres
sommeillent
*
Esprit saint du lieu parcourt la cour
vide courant d’air
par morceaux
toi tête loin rouge
pieds dans l’eau froide ruissellent sanglots
durcissent
Mots en sang mains de pierre
*
Vagues descendent sèches
Foehn envahit les squares les narines les ongles
pour toute harmonie
*
Quatre jours sous le ciel plus deux plus un demi
s’enchâssent dans la tête
une seule mémoire
je suis présent
Cet endroit glisse est une silhouette face contre terre contre rive
est une ombre
*
Tout un monde aspiré par la bouche noyé
quitte
linge de notes
exile
Nos voix au fond d’un tiroir
s’étalent à même l’heure
ni lieu ni rien demeure
*
Un autre nom tombé
dans un trou
de souris
l’asphyxie des syllabes
épaules contre
épaules
jusqu’à l’épuisement
des traces
*
Ce qu’on frôle on n’en sait pas le nom
visages villes aux mêmes yeux
mêmes angles arrondis pour
entrer dans
un mot une main
L’eau stagnante aux coins des rues
les choses floues
patauger dedans sans plus
ni dire
ce qu’on frôle
*
Une chance encore à ressasser les jours
dans cette galerie de glaces
rien n’avance ni dehors
La vitesse du verbe t’échoue
loin
Seulement n’aspire qu’Ã peu de choses
le jardin se rêve estompé
Croire au ciel ça cogne
aux murs et ça chute
Nul miracle
il s’éteint depuis
nous avons perdu la ville
*
Ventres mous
langues fondant
aux premiers soleils
on chercherait en vain la moindre mélodie sur quoi
poser un chant
Le temps centrifuge les souvenirs
à la fin
Rodrigue Lavallé a publié des textes poétiques dans une vingtaine de revues numériques ou "papier".
Parutions en volumes :
Hors soi, penché, éd. Eclats d’encres, 2014
Quelqu’un peut-être, éd. Créatures, 2015
Décomposition du verbe être, éd. Centrifuges, à paraître début 2016