La poésie, pour apprendre à vivre
chroniques de Ronald Klapka

 

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20 - Claude Louis-Combet, l'écriture au corps

"La lecture de Görres (La Mystique divine, naturelle et diabolique, Paris, 1836, rééd. Grenoble, Millon 1992) fournit, hors de toute investigation scientifique sérieuse, une argumentation de première nécessité : que les phénomènes dits surnaturels ou mystiques utilisent, pour se produire, les mécanismes naturels de la physiologie et donc, que le corps des saints, par où s'inscrit la puissance transcendante de la sainteté, dans l'espace et dans le temps, met en oeuvre, au suprême degré, toutes les capacités de jouissance, d'endurance, de souffrance et d'excès enfouies et oubliées dans la médiocrité de l'humaine condition. Autour de cette conception, sans souci d'orthodoxie, il devient possible d'opérer la cristallisation de tant de désirs laissés en suspens, qui visaient à la sacralisation de la chair comme de la seule présence, comme de la seule instance - épiphanique et calamiteuse.  N'ayant de comptes à rendre à aucune autorité, ne visant ni à édifier ni à instruire les croyants ni à complaire aux sceptiques, cette poussée de l'imaginaire du côté de l'hagiographie ne recule pas devant l'aveu de sa perversité. A celui qui est, comme le lui ont enseigné les maîtres de la gnose, le sujet d'une chute éternelle, et d'un écart sans remède, il appartient d'associer en texte, dans l'unité tendue de son écriture, ce qui lui reste de souvenir de Dieu et ce qu'il entretient d'amours terrestres." Cette citation un peu longue extraite de la contribution de l'auteur, « Le recours aux mythes et l'hagiographie perverse »  au colloque de l'université de Lille III, dirigé par par José-Laure Durrande, à qui l'on doit le magnifique « L'Oeuvre de chair » devrait constituer pour ceux qui ne connaissent pas l'–uvre de Claude Louis-Combet une belle entrée en matière, et pour ceux qui ont eu la chance de la rencontrer et d'en être habités, une invitation connivente à la lecture des deux derniers ouvrages parus chez José Corti : transfigurations et l'homme du texte. (Une « note» de l'éditeur : Bertrand et Fabienne Fillaudeau  donnée à la revue l'Oeil-de-B–uf souligne le signe tangible d'une aimantation, sans laquelle il n'y a pas d'auteur ¸et a fortiori d'éditeur ; un entretien accordé à cette même revue pourra également permettre une première approche de la démarche d'ensemble d'un parcours déjà bien rempli) On retiendra ce terme de cristallisation évoqué plus haut  - un précieux document (une dissertation d'étudiant) atteste son emploi dans le premier texte publié ¸ pour éclairer tant les nouvelles rassemblées sous le titre de transfigurations que les articles critiques qui étaient dispersés dans diverses (et nombreuses) revues et qui forment le recueil l'homme du texte, une même manière tant pour les aspects narratifs que réflexifs de l'écriture de Claude Louis-Combet, dans laquelle la pression du texte agit grâce au puissant levier de la nostalgie, cette « maladie du retour ». Ce qui nous donne des textes d'une beauté stupéfiante, chacun également fort, renversant en ce qui concerne les cinq nouvelles, dont on ne saurait dire laquelle vous emporte le plus : est-ce Le mal de blancheur, rencontre d'Oshima et de Jean de la Croix, avec la juxtaposition de deux monologues intérieurs (animus et anima ?) des amants désireux de sortir de la nuit obscure (des sens, de l'esprit ?) qui sera pour l'un « l'aurore aux doigts de sang  et le soleil de la folie », tandis que pour l'autre (l)es mains que (s)on amour avait exorcisées couvriraient (s)on pubis  comme une gerbe de fleurs.
On l'aura saisi, comme pour Valente, érotique, mystique et poésie (du texte) ne font qu'un. Même si, ici, l'acmé du désir se confond avec l'apogée de la douleur. Car "jouer à mort, tel était le sens du désir". Les lecteurs de l'Age de Rose ne seront pas dépaysés. Peut-être que certains de nos lecteurs auront eu à l'instar de Régine Deforges le privilège d'assister aux strip-tease de Rita Renoir! La Rita de Claude Louis-Combet (Crucifixa) nous convie à un ultime spectacle « Le Diable » : et si elle n'est pas tout à fait une sainte, elle l'est aussi cependant "alors que la force du Très-Intime irrupte en elle et s'ébroue dans ses chairs". S'il convient de quitter ce spectacle « sur la pointe des pieds , comme font les enfants tournant le dos au seuil de la chambre conjugale, au dernier coup de minuit » ce sera pour en découvir un tout aussi étonnant « La signature du corps » celui d'une figure de Marthe Robin, en dix-huit stations où ce qui se passe a tout le sens d'un poème dont le corps est l'écriture.
Quant à la Passion de Maure et de Timothée jeunes martyrs (et vierges) c'est de croix à croix qu'elle s'accomplit.
Faut-il dire que la Madeleine au sang est un récit parfaitement scabreux ? pourtant Claude Louis-Combet ne fait que jamais prendre au mot les expressions d'un vocabulaire mystico-religieux : fiancé divin, amant etc. (pensons aussi au fameux « ensevelissez-vous en moiø) et il n'y a qu'un seul auteur capable de nous donner cette notation au seuil d'épousailles d'un genre peu catholique : « Toutefois, comme elle avait besoin d'offrir un peu de beauté, elle éteignit sa lampe et il n'y eut que la blancheur toute rose du matin, à travers la fenêtre, pour éclairer la scène et le rite. » transfigurations, ce titre renvoie bien sûr à cette apparence inédite du corps de gloire, ce sont aussi des histoires qui pourraient paraître insensées mais que la maîtrise du texte transforme en fables qui n'impressionneront pas moins l'imaginaire que les Acta sanctorum d'autrefois (mais Jouve, Bataille, la psychanalyse et Louis-Combet seront passés par là!) Qui va voudra pénétrer plus profondément dans les intentions de l'auteur, ce qui sous-tend le projet de mythobiographie, pourra se plonger profitablement dans l'homme du texte. Claude Louis-Combet a généreusement accordé des entretiens, outre à la revue l'Oeil-de-Boeuf citée plus haut, à Prétexte ou encore au Matricule des Anges et ces derniers temps à Conférence où il s'est amplement expliqué sur sa poétique. Ce qu'il a fait dans plusieurs livres également édités chez Corti: proses pour saluer l'absence, le recours aux mythes, le péché d'écriture. On trouvera ici entre autres des éclaircissements sur la genèse de l'Age de Rose, ou de Blesse, ronce noire, ou encore les circonstances de la rencontre d'un moinillon avec le philosophe sensible au coeur (Nietzsche). Pour  clore l'ensemble, on citera la finale de l'inavouable, l'indicible, le texte: "C'est alors que l'homme du texte, engagé tout à la fois au-dedans et au dehors de l'entreprise d'expression, comme sujet, objet et mécanicien, se trouve, à tout moment, poussé à la limite des chances de dévoilement d'une parole en train de s'écrire, à l'aventure de laquelle il s'abandonne pleinement. Il a conservé assez de sens critique à l'égard de lui-même pour se défendre contre la tentation d'appeler indicible ce qui est simplement informulable par incapacité conjoncturelle de moyens ¸ du côté des mots, du côté de la puissance de concentration ou de l'épuisement de l'imagination. Cependant, cette défaillance à la pointe du projet, s'il ne convient pas de lui donner le sens d'un vertige métaphysique, comme serait l'évidence lumineuse du vide au c–ur des mots, rappelle par analogie ce que la mystique, la poésie et l'amour ont appris à l'humanité :  que la plénitude de la parole veut le délaissement de la parole, le retour au silence qui la fonde, l'émerveillement sans pensée, l'adoration." Après quoi, on pourra relire transfigurations.  Sinon persévérer dans l'étude, avec Claude Louis-Combet, mythe, sainteté, écriture, colloque sous la direction de Jacques Houriez à l'université de Besançon, paru dans la collection Les essais chez Corti (2000), et qui aura apprécié la rencontre avec Christian Hubin, y trouvera en particulier une approche fervente de l'écriture de son ami sous le titre L'aveuglée.