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chroniques de Ronald Klapka

 

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17 - Bergounioux sculpteur / à propos de "La casse"

 

Ciseleur de phrases, Pierre Bergounioux l'est aussi de métaux. La Casse nous narre comment la vie seconde peut naître des marges disgrâciées de notre monde, lorsqu'il s'agit du seul salut qui vaille, celui d'un gosse  «innocent et nu dans la grande temporalité», sans «nippes ni masque».

 

En août 1999, pour sa cinquième édition, «l'esprit et la lettre», le Banquet du Livre au château de Castries près de Montpellier, débutait par l'inauguration des sculptures de Pierre Bergounioux accueilli par Yves Charnet.

Régine Detambel y assistait afin de réaliser  un entretien pour sa chronique «Les petits-à-côtés» de la revue «Encres vagabondes». Elle en donne aujourd'hui un écho et surtout nous offre à partager sa réflexion dans la rubrique Ecriteau de son site personnel.

A très juste titre, elle y fait figurer la couverture de «La casse», un très beau livre édité en 1994 par Fata Morgana (64 p. 14 X 22,) avec des dessins à la plume de l'auteur.

L'incipit en est :

Je ne sache pas qu'il y ait un sens à la vie. Le mieux qu'on puisse faire, c'est de passer avec nos semblables le temps qui nous est départi parmi  les choses qu'on a touchées, les bonnes, de préférence. Mais c'est pure supposition de ma part. Aussitôt que rien ne me retient plus, je me hâte de regagner la lande, qui proclame sans phrase l'essence de notre condition : un inutile et bref intermède d'individuation entre deux éternités de néant. Je m'arrête juste avant, sur la frange disputée où l'épilobe et le sureau poussent dans des voitures un peu anciennes.

Le ton est donné. 

Suivent des pages extraordinaires relatant la rencontre  sur ces marges disgrâciées, de Bohémiens, hommes et femmes relégués, eux aussi à la périphérie, et témoignant de la détermination qu'il a fallu au narrateur  pour franchir les obstacles qui conduisent à l'aire de stockage - la casse - pour y trouver son bonheur.

C'est pour avoir disputé mon existence à la déraison universelle, deux fois dix sept années durant, et pour avoir perdu que je suis allé réclamer quelque rebut apparié à ma disgrâce  à ceux d'entre les hommes que le genre humain confine à l'écart.

Les lecteurs de L'Orphelin, du Premier mot, retrouveront des épisodes qui leur sont familiers.

Poignante est la raison (le plus improbable des mercenaires de Guillaume de Nassau n'est bien sûr pas loin) qui conduit après trente quatre années  à rechercher une fermeté qui se communique à l'existence fantômatique à quoi [s]on père, en s'absentant, [l']avait réduit.  Alors qu'autrefois le salut avait été cherché dans le règne végétal –auprès de quelque roi des aulnes ?, dont l'offre magnifique sera repoussée au profit d'un orphelin qui n'était plus depuis longtemps un enfant.

C'est ainsi qu'une vie seconde sera offerte aux ferrailles appelées à devenir poissons d'argent, oiseaux, bêtes de la forêt, guerriers. Le livre de Jean-Paul Michel (William Blake & Co., 1997) «La deuxième fois» en garde la trace émue : «Voilà qu'un travail d'écrivain se poursuit à l'aide des stylets de feu de l'arc électrique, de la cisaille du métallier, du lourd marteau de la forge, et qu'il fait surgir des figures de sens des matériaux les plus ennemis.»

Parce qu' «il restait une voie pour rendre un corps au monde perdu, qui demandait une confiance d'enfant, une fidélité d'enfant : aux choses mêmes.»

 

Aussi  ne peut manquer de résonner "Métamorphoses", article donné par Pierre Bergounioux à la nouvelle revue «Penser/Rêver» au Mercure de France,  livraison : L'enfant dans l'homme.