Le prochain roman de Raphaël Confiant, confidences : Adèle et la pacotilleuse

Raphaël Confiant : J’ai écrit un roman à propos de la fille de Victor Hugo, Adèle, qui s’appelle Adèle et la pacotilleuse. Cette Adèle, à l’époque où Hugo était en exil à Jersey, avait fui au Canada où un officier anglais qu’elle aimait avait été muté ; cet officier a ensuite été muté à Barbade, elle l’a suivi à Barbade, elle est devenue folle dans cette île de Barbade, elle a été recueillie par une Trinidadienne, Céline Alvarez Bàà, qui l’a ramenée à Saint-Pierre de la Martnique et puis qui l’a ramenée à Paris à son père, et elle est devenue la maîtresse d’Hugo parce qu’Hugo, il avait tellement de femmes que bon... Il écrit dans son Journal "Ce fut ma première négresse".
Truffaut a fait un film dans lequel il ne parle pas du tout de la pacotilleuse ; il parle de l’amour entre Adèle et le lieutenant Pinson, mais pas du tout de la pacotilleuse ! Adèle devient folle, elle erre dans les rues, elle est recueillie par cette pacotilleuse... Une pacotilleuse, c’est une femme qui passe d’île en île, avec des paniers chargés de Bibles, de fers à défriser les cheveux, d’éventails, de toileries, ... et qui voyage d’île en île, qui parle toutes les langues, qui a des maris partout, des enfants partout, une voyageuse, quoi ! et cette voyageuse s’entiche d’Adèle, la ramasse dans la rue alors qu’elle est en train de délirer, la soigne, écrit au Gouverneur de Barbade qui répond "écoutez, ne m’emmerdez pas avec cette Française, déjà qu’on a eu de problèmes avec Hugo !" ; alors elle l’emmène sur ses propres deniers à la Martinique où elle essaie de convaincre la gouverneur que c’est bien la fille d’Hugo, mais comme Hugo est un réprouvé... Donc elle l’emmène à Hugo.
Donc je suis obligé de relire l’oeuvre d’Hugo.

Chantal Anglade : C’est votre père qui lisait Hugo et vous faisait réciter Hugo ?

R.C. : Il aimait beaucoup Hugo, il enseignait dans une classe qui s’appelait Fin d’études, et il avait trouvé comme meilleur moyen d’intéresser ses élèves de leur lire Hugo. Mais le samedi il me faisait venir dans sa classe et me lisait des passages entiers ! mais je dois dire qu’aujourd’hui Hugo est lourd à lire, c’est ampoulé ! on peut lire François Villon, mais Hugo c’est flagorneur...dedans il y a de petits miracles, au détour d’un vers il y a des choses fabuleuses, mais c’est plus lisible alors qu’un Villon, un Ronsard ou un Du Bellay sont encore lisibles.

Ch.A. : Vous avez commencé l’écriture ce livre depuis longtemps ?

R.C. : Depuis un an environ, mais je peine, je l’avoue, c’est la première fois que je peine parce que je n’ai pas la sérénité d’esprit, j’enseigne à la fac, j’ai des responsabilités administratives, et puis la lecture d’Hugo m’a quand même donné un coup de bambou sur la tête ! Je n’ai pas reconnu le Hugo de mon enfance, je ne l’avais pas lu depuis vingt-cinq ans.
Quelqu’un qui lit mon manuscrit me dit "ne t’occupe pas d’Hugo ! centre-toi sur Adèle et la pacotilleuse, et Hugo va rester marginal, ce n’est pas la peine de t’embourber dans la relecture de son oeuvre". Mais comme la pacotilleuse ramène Adèle en France et a une relation avec Hugo, je veux montrer cet Hugo septuagénaire...
Cette femme est célébrée comme une héroïne à Trinidad, les enfants apprennent l’histoire de Céline Alvarez Bàà. C’est un nom étrange puisque Céline c’est français, Alvarès espagnol et Bàà c’est africain certainement. Et puis, le parcours des pacotilleuses est fabuleux ! Ce sont des femmes qui voyageaient à travers tout l’archipel, remontaient jusqu’ à Cuba, redescendaient à Cayenne, remontaient ... C’était de perpétuelles voyageuses !

Ch.A. : Est-ce qu’on retrouve dans ce roman des personnages qui vous sont habituels ?

R.C. : On retrouve Saint-Pierre à la même époque que mon roman Nuée ardente, et donc le club de poètes et parmi eux un fervent hugolien et d’autres qui sont symbolistes et donc contre Hugo ; ils rencontrent Adèle.


Les autres volets de l’entretien à lire :

— Deuxième volet : Créolité dans la langue romanesque - « Moi j’ai l’ambition de replonger dans les strates profondes du Français et je retrouve en quelque part ce qui a donné naissance au Créole ».
— Troisième volet : La jubilation et la tristesse : « la blessure de l’esclavage est quelquepart-là. »
— Quatrième volet : Chabin-chabine - Lady Diana est une chabine !
— Cinquième volet : La panse du chacal et le pardon demandé aux Indiens
— Sixième volet : Beauté de la canne à sucre et pauvreté de la banane

Chantal Anglade

23 février 2005
T T+