Fictions beyrouthines et autres citadines (16)

XVI


Elle a refait son nez, sa bouche et le reste. Elle regarde le monde avec dédain et peur. Elle croit aux corps qui s’affichent sur les avenues entre Beyrouth et Jounié. Elle marche et voudrait tuer toutes les femmes, les plus jeunes mais aussi les plus vieilles, quelques-unes, rares, qui montrent leurs rides et leur chevelure blanche et soyeuse. Mona ne sait pas qu’il n’existe aucun corps parfait.
Elle traverse la place des Martyrs et va vers Saifi. Les vitrines montrent les plus belles robes sur des mannequins longilignes. Mona ne ressent rien d’autre que de l’envie. A la terrasse du café Balima, elle attend son mari. Demain ils s’envolent pour Dubaï.

Mona regarde une femme qui vient de s’asseoir et de commander un whiskey. Une étrangère. Sa robe et ses cheveux en attestent, aucune trace de botox ou de teinture. Mona s’étonne, il y aurait « beauté » à vieillir et elle chasse vite cette idée. L’homme qui accompagne l’étrangère parle vivement. Il lui prend la main de temps en temps.

Plus loin, ce sont quatre jeunes libanaises qui rient et font la pose. Mona repère très bien les lèvres rebondies un peu trop et les ailes du nez replacées. Son esprit classe désormais les visages et les corps, ceux qui ont subi une chirurgie plastique et les autres. La peur vient en elle peu à peu depuis qu’elle ne se reconnaît plus, la peur de juger plus beaux les visages intacts, ridés, souriants. Elle ne se l’avoue pas encore. Elle a tenté de décolorer ses cheveux. Ils ne sont ni blonds ni bruns. Ils paraissent sans couleur.
Son mari s’approche et la rejoint ; il lui parle en anglais. Elle ne comprend pas toujours mais elle fait semblant et tente des phrases courtes.

Un vent léger pourtant, venu de la mer, ramène Mona à des sensations anciennes, les rues dégringolant du village et les oliviers en fleurs, leur beauté blanche et éphémère, les collines lumineuses, la voix de sa grand-mère. Un dé de joie survient, quelque chose qui serait dépouillé. Mais elle fuit l’esquisse du souvenir, son corps est ailleurs.

Beyrouth s’enlaidit. Les tours hautes rivalisent de splendeur et de démesure. On avait pourtant admis qu’il ne fallait pas dépasser Manara, le Phare sur la pointe nord-ouest. Qui le premier a transgressé la règle ? Quelle est la première femme de Beyrouth qui a refait son nez ? Quelle est celle qui a voulu avant toutes ressembler à une star d’Hollywood ?

Mona ne se pose pas la question de savoir comment se tenir entre son village dans le sud vers Hasbaya et l’hôtel Phénicia cinq étoiles sur la corniche.

15 mai 2011
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