Démolir Etayer Découvrir

Un mur tombe. Les vieilles pierres mises de coté, la poussière et les gravats reposés, les broussailles coupées broyées, deux arbres moribonds abattus, le lilas disparu ; tout ce à quoi on tenait et auquel on s’était habitués depuis 3 ans, pensant qu’il y tenait lui aussi, Julien Gracq, depuis toujours, tout s’est effondré proprement. Et c’est un paysage inattendu qui se révèle entre le jardin de la maison et la grande parcelle à l’Est ; une trouée pleine de lumière, un jardin profond, puis le vallon dans le creux duquel la Loire se devine, et plus loin encore un horizon vert comme un pays de cocagne. Il y avait donc toute cette ampleur derrière le mur !

En bas, l’arc arrondi d’une ancienne porte se découpe, dégagée des marques d’abandon, sobre soudain, humble et noble dans son dessin.

Sous la pluie, immobile dans le jardin, me viennent les images de ces dernières années, tout ce qui change, tout ce qui s’écroule dans la peur. Puis la liberté.

Etayer, soutenir, consolider, supporter, démonter ; croix-de-saint-andré, contreventement, chainage, charpente, ferme, échafaudage, hors d’eau, hors d’air.
Nids d’hirondelles.
Le maçon et le charpentier cherchent des solutions. L’architecte pose les questions, rappelle les contraintes et les dates. Il faut soutenir une charpente ancienne et lourde, très lourde, et ne pas détruire les nids d’hirondelles. C’est comme écrire. Penser toujours à la structure générale, et veiller à la virgule qui changerait tout le sens du livre si on la négligeait. To be or not, to be, that is the question n’est pas "To be or not to be, that is the question". C’est une histoire de vie et de mort.

Faîtage, charpente, bâti, murs, passage, échelle, méthode, poids. Réécrire un texte ancien. Rappeler ses charmes et ses trouvailles, mais l’écrire aujourd’hui, convier sa modernité et garder le génie de la voix et le caché des sous-textes, pourtant le ramener à nous sans nostalgie mais en bondissant à partir de ce qu’il a de virtuose et futé. Construire, non pas reconstruire, mais inventer à partir du bâti, éliminer les appendices inélégants, en revenir au cœur, mais inventer encore.

Et tenir dans le temps imparti.

Le maçon et le charpentier cherchent. Espace et temps. Voilà l’équation. Solution partielle : mouvement. Mais lequel ? Trouver le bon mouvement. Comme dans la vie.

La pluie toujours, pas une lumière sur Saint-Florent. La Loire grossit et enfle jusqu’aux rives. Les vaches ne descendent plus boire sur le sable. J’ai froid. Dans quelques jours, je dormirai à Sabra ; et cette pensée produit une chaleur en moi. Gravats, murs, effondrer, reconstruire, poussière, soutenir, étayer, passages, poids, en revenir au cœur.

Et j’ai soudain l’image de cette photo de Julien Gracq où il fait un signe de la main en souriant.

21 octobre 2012
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